Trois questions à Guy Standing

Par Stanimir Panayotov
Traduit par Audrey Ubertino

Guy Standing participera, lors du Festival Transeuropa 2012, à l’évènement Précarité : d’une condition sociale à un état d’esprit, le 20 mai à l’UCL à Londres.

 
Les termes « précarité » et « précariat » ne sont pas complètement nouveaux et existent depuis environ une dizaine d’années. Quelle nouvelle signification spécifique donnez-vous à « précariat » ?
 
Standing : Le précariat doit être compris comme faisant partie de la structure de classes mondiale émergeante. Il comprend un nombre croissant des personnes qui souffrent de formes multiples d’insécurité sociale et économique. Ceux qui se retrouvent dans le précariat n’ont pas la sécurité de l’emploi, ils enchaînent les emplois de courte durée sans être à l’abri d’un renvoi soudain. Ils n’ont également pas la sécurité de l’emploi dans le sens où ils font souvent un travail qu’ils n’ont pas envie de faire et qu’ils se sentent capable de faire. Ils n’ont aucun contrôle sur les tâches qu’ils doivent réaliser ni l’opportunité de s’épanouir à travers leur travail. Ils connaissent également l’insécurité des revenus puisqu’ils ne sont pas sûrs de ce qu’ils vont recevoir et qu’ils se voient refuser l’accès aux avantages sociaux tels que les congés maladie, les congés payés ou la chance de bénéficier d’une pension de retraite décente à l’avenir. Ils subissent aussi l’insécurité de la représentation dans le sens où ils n’ont pas leur mot à dire dans leurs relations avec leurs employeurs ou même avec leurs collègues.
Je pense que l’idée d’un « anéantissement du statut » est plus appropriée pour le précariat ; l’impression que les emplois qu’ils pourraient obtenir sont bien en dessous de leurs qualifications. Enfin, dans le cadre de la définition de ceux qui en font partie, le précariat doit réaliser beaucoup de ce que j’appelle du labeur pour du travail.
En d’autres termes, ils doivent accomplir beaucoup de travail non rémunérée, en plus des tâches qu’ils doivent réaliser.
Cela fait beaucoup de travail pour bénéficier d’aides de l’état ainsi que pour apprendre une foule de trucs et astuces que l’on appelle conventionnellement « compétences ».
 
Pouvez-vous expliquer la continuité entre votre travail théorique sur la précarité et le Basic Income Earth Network (Réseau Mondial pour le Revenu de Base), avec qui vous collaborez ? A quel projet politique faites-vous référence quand vous parlez du principe de revenu de base universel?
 
Standing : Il y a vingt-cinq ans, un petit groupe d’entre nous – des économistes, des philosophes, des sociologues et d’autres – a mis en place un réseau permettant de promouvoir la discussion et la promotion d’un revenu de base pour tout le monde dans la société, en tant que droit. Nous l’avons appelé le réseau BIEN, qui voulait alors dire Basic Income European Network (Réseau Européen pour le Revenu de Base). Après quelques années, beaucoup de personnes venant de l’extérieur de l’Europe ont rejoint le réseau. Nous avons donc renommé le réseau, BIEN, en changeant le E en Earth. A présent, nous avons des membres qui viennent du monde entier, grâce à des réseaux nationaux qui sont affiliés au BIEN international. Ce serait bien qu’un réseau bulgare voit le jour. Nous avons géré tous les arguments opposés à cette idée et nous sommes sûrs que le droit au revenu de base aiderait à fournir la sécurité élémentaire essentielle à chaque société de marché. Il ne fait pas oublier que l’idée est que ce droit serait sans conditions pour tous les résidents légaux de la société, indépendamment du statut professionnel, de l’âge ou de la situation matrimoniale. Progressivement, les hommes politiques commencent à réaliser que c’est du bon sens. Beaucoup de personnes éminentes nous ont rejoints. Tout le monde peut devenir Membre à vie du réseau et se rendre au prochain Congrès. Le prochain se déroule à Munich du 14 au 16 septembre cette année.
 
Comment voyez-vous le futur de la « main-d’œuvre » du précariat : va-t-elle tendre vers la  représentation et la résurrection du syndicalisme ou va-t-elle devenir de plus en plus répandue et autonome ?
 
Standing : Je suis sûr que le précariat va commencer à s’organiser et à réclamer de la reconnaissance en tant que force sociale déterminante. A l’heure actuelle, c’est une classe en formation. Les gens qui font partie du précariat savent contre quoi ils se battent ; les inégalités écœurantes et l’insécurité chronique qu’ils doivent affronter, sans pouvoir contrôler leur épanouissement personnel ou leur vie professionnelle. Cependant, ils ne font que commencer à élaborer un programme progressif cohérent.

Guy Standing est professeur d’économie à l’université de Bath, en Angleterre. Il a été directeur de la sécurité socio-économique à l’Organisation internationale du travail, après avoir été directeur des politiques du marché du travail. Membre fondateur du Basic Income Earth Network (BIEN), il en est aussi le co-président.