Les conditions de détention provisoire des migrants dans les camps

Traduction de Jérémy Labbetoul

Les lacunes de la législation européenne en ce qui concerne les conditions des migrants (notamment le temps de détention maximal, variable d’un pays à l’autre) suscitent, à travers l’Union Européenne, des interprétations très différentes de ce que sont des normes acceptables. Les mesures appliquées par les autorités devraient être proportionnelles à la situation. Cependant, ce n’est pas toujours le cas : des procédures abusives, arbitraires ou inutiles ont été signalées dans de nombreux documents d’ ONG et d’institutions européennes (chambres d’isolement, utilisation abusive des menottes, migrants assimilés à des criminels). Ces procédures témoignent d’une progression vers la criminalisation de la migration. Parfois, certaines normes élémentaires, qui devraient pourtant être de rigueur dans les lieux destinés à accueillir des personnes (hygiène, séparation des hommes et des femmes, etc.) ne sont pas respectées. Les migrants font face à une situation humiliante et dégradante. Il arrive que les droits de l’homme soient bafoués. Du fait de l’absence de communication avec l’extérieur et du manque de transparence de la part des autorités, les migrants ont du mal à faire entendre leur voix. Alternatives Européennes est préoccupée par les conditions de détention provisoire des immigrés clandestins au sein des camps de migrants, qui s’apparentent parfois à des zones de non-droit. Bien que la Directive Retour de L’Union Européenne 2008/115/CE (qui n’a pas été adoptée par tous les États membres) garantisse certains droits fondamentaux, elle est parfois moins favorable aux droits des migrants que les législations nationales. Ceci pourrait entraîner un nivellement par le bas  des normes applicables.

Liste des problèmes essentiels relatifs aux camps de migrants et à la détention provisoire

Les camps de migrants

·           L’accès à l’assistance juridique, à l’information, aux soins médicaux et à la communication avec l’extérieur est très limité et parfois refusé par les autorités.L’assistance juridique gratuite n’est pas assurée. Les migrants ne savent rien de la suite des événements, ils ne reçoivent aucune information au sujet des procédures, qui de plus sont souvent expéditives . Des pratiques comme la réduction des droits de visites ou la destruction de téléphones dotés de caméras, afin d’empêcher que des documents vidéos ne soient remis à des activistes, ont été signalées.
·           Les camps de migrants sont souvent situés dans des bâtiments ressemblant à des prisons, voire dans des bâtiments rattachés à des prisons.Ceci peut conduire à faire l’amalgame entre les migrants et les criminels. Le personnel travaillant au sein des camps est parfois le même que celui des établissements pénitentiaires, bien qu’il n’ait suivi aucune autre formation plus adaptée. Par conséquent, les migrants sont parfois traités comme des criminels.
·           Les bâtiments ne sont pas correctement entretenus et sont souvent insalubres et surpeuplés.
·           On note un manque de transparence au niveau des conditions de détention, et l’accès des ONG aux camps est restreint.

Les migrants
·           Les migrants se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu’ils souhaitent entamer une procédure de demande d’asile.Des détenus et des associations ont signalé que, dans certains camps, les formulaires nécessaires ne sont pas livrés aux demandeurs d’asile [1].
·           Les migrants sont victimes de sanctions arbitraires et d’une répression punitive. Des cas de viols, de comportements dégradants, et de violences, notamment de coups, ont été signalés. [2].
·           La détention a des répercussions morales et psychologiques sur les migrants, et conduit à des rébellions, à des dépressions et dans les cas les plus graves, à des suicides.
Bien qu’opposée au principe de camps de migrants, Alternatives Européennes est convaincue que tant que ces camps existeront, les organisations de défense des droits de l’homme devront être autorisées à y entrer, afin d’apporter une assistance médicale et juridique aux migrants, et de contrôler les conditions de leur détention provisoire. La création de directives communes à l’attention des personnels des camps peut également être un facteur de changement. L’application de ces directives devrait être contrôlée régulièrement.

En ce qui concerne les réfugiés, il est stipulé dans l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 (également appelée « Convention de Genève ») que, (1) Les États contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article 1er [3],entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières. (2) Les États contractants n’appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d’autres restrictions que celles qui sont nécessaires; ces restrictions seront appliquées seulement en attendant que le statut des réfugiés dans le pays d’accueil ait été régularisé ou qu’ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays. En vue de cette dernière admission les États contractants accorderont à ces réfugiés un délai raisonnable ainsi que toute faciliténécessaire.

La détention des demandeurs d’asile devrait être évitée, comme le recommande l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Toutefois, la possibilité de faire une demande n’est pas toujours garantie dans les camps, et des ONG ont signalé que les procédures de demande d’asile sont parfois entravées. Alternatives Européennes préconise des solutions alternatives aux camps de migrants. Nous sommes convaincus que ces camps ne sont pas la meilleure solution pour garantir leurs droits, et que des alternatives impliquant les États et les ONG peuvent être trouvées, comme la libération conditionnelle. L’Union Européenne devrait tendre vers de telles alternatives plutôt que vers la détention. Elle devrait de plus harmoniser sa réglementation conformément à la Convention des Nations Unies de 1951, comme prévu par les deux programmes de cinq ans pour la création d’un Système d’asile commun à l’Europe. Une réglementation précise visant des normes élevées de protection, facilement compréhensible par tous les États membres et les demandeurs d’asile, est attendue avec impatience.

 
Pour plus d’information :

Migreurop, Campaign of parliamentary visits for a right of access inside detention centres for migrants,
http://www.migreurop.org/article1905.html, 04/2011 (texte en anglais).
Version française : Campagne pour un droit de regard dans les lieux d’enfermement, http://www.migreurop.org/article1904.html
European Council on Refugees and Exiles (le programme européen pour les réfugiés et les exilés), Return Directive: EU fails to uphold human rights (Directive Retour : l’UE incapable de garantir les droits de l’homme), http://www.ecre.org/component/downloads/downloads/88.html, 06/2008 (texte en anglais).
Parlement Européen, Direction générale des politiques internes de l’Union, Conditions des ressortissants de pays tiers retenus dans des centres (camps de détention, centres ouverts, ainsi que des zones de transit), avec une attention particulière portée aux services et moyens en faveurs des personnes aux besoins spécifiques au sein des 25 États Membres de l’Union Européenne,
http://www.libertysecurity.org/IMG/pdf_eu-ep-detention-centres-report.pdf, 12/2007 (texte en anglais).
Version française : http://www.cimade.org/uploads/File/admin/Gianni_Rufini_2007_Rapport_final_PE.pdf


[1] Migreurop, http://www.migreurop.org/IMG/pdf/Conclusions_generales_de_la_campagne_et_resumes_des_visites.pdf, p. 3, 5, 6
[2] Parlement Européen, Direction générale des politiques internes,Conditions des ressortissants de pays tiers retenus dans des centres (camps de détention, centres ouverts, ainsi que des zones de transit), avec une attention particulière portée aux services et moyens en faveurs des personnes aux besoins spécifiques au sein des 25 États Membres de l’Union Européenne, http://www.libertysecurity.org/IMG/pdf_eu-ep-detention-centres-report.pdf, p. 185,186 (texte en anglais).
Version française : http://www.cimade.org/uploads/File/admin/Gianni_Rufini_2007_Rapport_final_PE.pdf
[3] Article 1 de la Convention tel qu’il a été modifié par le Protocole de 1967 :Toute personne qui, par suite d'événements survenus avant le premier janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.