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Jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne : les affaires Maruko et Römer

Par Maëva Kokodoko
 
 
«Une discrimination directe se produit lorsqu'une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable…
 
Une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap, d'un âge ou d'une orientation sexuelle donnés… » 
Article 2 de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.
 

Le droit relatif aux unions homosexuelles diffère d’un Etat Membre à l’autre. Le mariage des couples homosexuels est autorisé au Pays-Bas, en Belgique, en Suède, au Portugal et en Espagne. En France et en Allemagne par exemple, ont été créées des institutions permettant l’union des couples homosexuels : le PACS en France et le partenariat enregistré (Lebenspartnerschaft) en Allemagne. Si d’un côté le PACS permet d’unir juridiquement des couples homosexuels ou hétérosexuels, le Lebenspartnerschaft allemand ne concerne que les couples homosexuels. Dans les deux cas, le législateur a voulu accorder la possibilité aux couples homosexuels de formaliser leur union. Cependant le législateur n’a pas eu pour objectif de rentre l’institution du mariage et celle du partenariat identiques, mais tout au plus comparables ou assimilables. Cela a donc eu des conséquences pour les couples homosexuels qui se voient bien souvent considérés comme des individus de seconde catégorie, ayant les mêmes devoirs que tous les citoyens mais pas les mêmes droits.
Le monde du travail ne représente qu’un seul des nombreux domaines dans lesquels les Etats Membres ont encore du chemin à parcourir pour garantir l’égalité de traitement. (voir).
La CJUE avec son arrêt Römer c./Freie und Hansestadt Hamburg du 10 mai 2011 continue sur sa lancée qui, depuis la jurisprudence Maruko a permis de soulever la question de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle.
 
Jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE)
 
Affaire Maruko rendu par la CJCE[1] du 1er avril 2008
M. Maruko a conclu un partenariat enregistré avec un allemand affilié au vddb, un fond de pension spécial réservé aux personnes travaillant dans le milieu théâtral. A la mort de son partenaire, M. Maruko fit une demande au vddb pour obtenir une pension de conjoint survivant. L’organisme refusa de satisfaire à la demande de  M.Maruko, en indiquant que les statuts ne prévoient pas le versement de cette pension aux partenaires enregistrés. Seuls les conjoints (donc unis par le mariage) sont susceptibles de bénéficier de cette prestation. M. Maruko a estimé qu’il y avait là une discrimination à raison de son orientation sexuelle.
La CJCE, saisie d’un renvoi préjudiciel[2],  c’est tout d’abord demandée si la question de la pension de conjoint survivant entrait bien dans le champ d’application de la Directive 2000/78 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Après avoir répondu positivement à cette première question, la Cour a répondu à l’interrogation qui nous intéresse, à savoir s’il y avait une discrimination envers les personnes ayant conclu un partenariat enregistré qui les placerait dans une situation moins favorable que celle dont bénéficieraient les personnes liées par le mariage.
La Cour a rappelé que la Directive 2000/78 a pour objectif de lutter contre les discriminations liées aux travails, en faisant valoir ainsi le principe d’égalité de traitement. La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle fait partie des discriminations retenues par la directive. Par ailleurs, la Cour a constaté que depuis 2004 selon la loi allemande le partenariat de vie est assimilé au mariage en ce qui concerne la pension de veuve ou de veuf.
La Cour a fait valoir que si la juridiction allemande (à laquelle l’affaire est renvoyée)  décide que les époux survivants et les partenaires de vie survivants sont dans une situation comparable en ce qui concerne cette prestation de survie, la règlementation allemande doit être considérée comme constitutive d’une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle, au sens des articles 1er et 2, paragraphe 2, sous a), de la Directive 2000/78.
 
“Les dispositions combinées des articles 1er et 2 de la directive 2000/78 s'opposent à une réglementation telle que celle en cause au principal en vertu de laquelle, après le décès de son partenaire de vie, le partenaire survivant ne perçoit pas une prestation de survie équivalente à celle octroyée à un époux survivant, alors que, en droit national, le partenariat de vie placerait les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne ladite prestation de survie. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si un partenaire de vie survivant est dans une situation comparable à celle d'un époux bénéficiaire de la prestation de survie prévue par le régime de prévoyance professionnelle géré par la Versorgungsanstalt der deutschen Bühnen”.
 
Selon la CJCE, les situations étaient comparables. Il y avait donc là une discrimination directe pour laquelle aucune justification ne pouvait être acceptée[3].
Cet arrêt constitua une avancée importante par rapport à la jurisprudence antérieure. Dans l’affaire Grant du 17 février 1998 (datant d’avant l’entrée en vigueur de la Directive 2000/78) la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle n’avait pas été admise.

Arrêt Römer du 11 mai 2011
Un ancien employé de la ville d’Hambourg ayant conclu un partenariat enregistré, a demandé de bénéficier du  même  système de calcul de pension auquel ont droit les employés mariés.
Or, les statuts du Land de Hambourg prévoient une subdivision des classes d’impôts dans lequel les pensions complémentaires d’entreprise sont moins favorables aux personnes non mariées. Le partenariat civil n’est pas dans ce cas assimilé au mariage, ce qui implique qu’une personne liée par un partenariat tombe dans le champ des personnes non mariées et ne bénéficie pas du niveau de pension complémentaire auquel ont droit les personnes mariées.
La question était encore une fois de savoir s’il y avait là une discrimination en raison de l’orientation sexuelle puisqu’une règlementation défavorable aux couples non mariés est aussi défavorable aux couples (homosexuels) ayant conclu un partenariat.
Dans cette affaire laCJUE a suivi le raisonnement  de la « situation comparable » de la jurisprudence Maruko. Elle précise qu’afin d’avoir droit à cette même pension,  la situation doit être comparable (et non pas identique!) en fait et en droit à celle d’une personne mariée. La CJUE a par ailleurs précisé que la comparaison doit tenir compte des droits et obligations au regard de cette pension et non pas la perception général du droit allemand sur le caractère comparable ou non du mariage et du partenariat enregistré.
Encore une fois la CJUE a considéré qu’il s’agit là d’une discrimination directe.
 
« Pour nous, il s’agit d’un grand pas en avant, elle [la décision de la CJUE] apporte de la clarté sur cette question de l’emploi. Malheureusement la décision ne concerne pas des choses tels que l’impôt sur le revenu, domaine qui nous semble très important » a déclaré Renate Rampf, porte-parole de la Lesbian and Gay Federetion in Germany.
Martin K.I. Christensen, co-président du Conseil exécutif  de l'ILGA-Europe, a déclaré: « Nous félicitons la Cour de Justice de l’Union Européenne pour la réaffirmation de l'égalité de traitement pour les couples mariés de même sexe et les partenaires enregistrés de même sexe dans le champ d’application de la Directive. Nous  félicitons également la Cour pour avoir précisé que, du moment où les couples mariés ou les couples en partenariat enregistré de même sexe ont l’obligation légale de subvenir  aux besoins des uns envers les autres, ils devraient être traités de manière égale, indépendamment des  différences existantes entre l'institution du mariage et le partenariat enregistré. »
 

 
 
 
Plus d'info :
 
Krzysztof Smiszer, Sexual orientation discrimination and the Maruko and Römer  ECJ cases  (Slides, engl.)
 
Arrêt de la CJUE Römer du 11 mai 2011 
 
Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail 
 
 



[1]    Cour de Justice des Communautés Européennes. Ancien nom de la CJUE avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
[2]             Le renvoi préjudiciel est la procédure qui permet à une juridiction nationale d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation ou la validité du droit communautaire dans le cadre d'un litige dont cette juridiction est saisie. Le renvoi préjudiciel offre ainsi lemoyen de garantir la sécurité juridique par une application uniforme du droit communautaire dans l'ensemble de l'Union européenne. (définition europa.eu)
[3]    Nonobstant l'article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs visés à l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée.Art. 4.1 Directive 2000/78/CE
      Une discrimination indirecte peut être justifiée. Il faudra prouver que la discrimination existe pour un motif légitime et que la réglementation en question utilise des moyens proportionnés et nécessaires pour atteindre ses objectifs.