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Citoyens, qui sommes-nous?

Saskia Sassen

Saskia Sassen

Article de Saskia Sassen, de la Columbia University www.saskiasassen.com 

Traduit par William Foster

Je considère la citoyenneté comme un contrat incomplet entre l’individu titulaire de droits et l’Etat. C’est dans le caractère incomplet de cette relation que réside la possibilité pour la citoyenneté d’évoluer sur le long terme. Il y a assez d’espace pour modeler et remodeler “le” citoyen, y compris ceux qui “n’appartiennent pas” – que ce soit l’étranger à l’extérieur ou l’étranger à l’intérieur d’un pays.

Aujourd’hui la citoyenneté est en crise: mais nous pouvons et devons trouver une autre définition de la citoyenneté grâce à sa longue histoire et le contexte actuel. Cela demandera du travail car nous vivons des restructurations radicales qui vont bien au-delà l’exclusion sociale et se traduisent par des expulsions nettes -vous êtes soit dedans, soit dehors. De nos jours, qui obtient des droits? Au cours des trente dernières années, ce sont pour la plupart les corporations. Ces nouvelles élites globales n’ont même pas besoin du statut officiel de citoyen pour aller où ils veulent et obtenir ce qu’ils veulent. Pourtant nous, les simples citoyens, avons perdu des droits, avec quelques exceptions partielles. En revanche, tandis que la plupart des immigrants sont citoyens d’un pays (environ 3% sont apatrides), ils sont traités comme des étrangers sans droit. De plus, beaucoup de migrants sont en cours d’expulsion de leurs lieux de vie, notamment à cause de la mainmise sur les terres par les entreprises des USA, d’Europe et d’Asie – ce sont aussi souvent les pays dans lesquels les migrants atterrissent.

En bref, il reste du travail à accomplir. En fait, de plus en plus d’initiatives sont lancées autour du monde: nous savons tous qu’il faudra nous battre pour en faire un monde meilleur.

En examinant l’Histoire Occidentale, ce sont souvent les étrangers qui ont réussi à renforcer nos droits. Ils ont soumis l’institution citoyenne à de nouveaux types de revendications dans l’espace et le temps – qu’il s’agisse des non-propriétaires dans l’Angleterre du début du XIXème siècle revendiquant leur droit à la citoyenneté, ou de la communauté LGBT dans les années 2000 revendiquant les mêmes droits que les autres citoyens. Les femmes, les minorités, les demandeurs d’asile et les migrants ont tous contribué à étendre les droits de tous les citoyens suivant une trajectoire souvent multi-générationnelle. L’action des faibles a une temporalité bien plus lente que l’action des puissants, qui peuvent saisir et détruire rapidement. Cependant lorsque les demandes d’inclusion des ‘étrangers’ aboutissent, elles renforcent les institutions citoyennes. Il se peut qu’ils n’aient pas gagné beaucoup de pouvoir, mais leur impuissance est devenue complexe – ils ont créé une histoire, une politique.

Aujourd’hui, la définition même de l’Etat nation et l’appartenance nationale devient instable: soit elle neutralise le concept de nationalité, soit elle le déforme en revenant au stade de passion viscérale pré-politique – pré-politique car la politique est censée surmonter et modérer le viscéral. Les frontières traditionnelles du système moderne interétatique sont devenues et continuent de constituer une caractéristique critique et marquante de l’appartenance, ainsi que la clef du débat sur la migration. Un des éléments manquants du débat est l’idée de la frontière traditionnelle interétatique, avec sa variabilité pratique et formelle, laquelle devient de plus en plus juste un élément dans un grand système opérationnel émergeant pour la mobilité humaine qui a démarré dans les années 1980. Cet espace est marqué par la divergence croissante entre les migrants pauvres et les migrants de haut-niveau.

Une innovation est la prolifération de visas spécialisés qui permettent aux entreprises d’embaucher un type précis de travailleur migrant – “les professionnels étrangers” – malgré le fait que cela ne fasse que dresser des murs nouveaux pour la plupart des migrants.

whodoeseuropebelongto picLa clause du Mode 4 de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) donne aux travailleurs une panoplie de droits formels transférables lesquels sont reconnus dans tous les pays signataires lorsqu’ils sont embauchés. Ceci revient à établir un sujet privilégié avec des droits transférables. Nous devrions en tirer une leçon. Cette éventualité n’est jamais envisagée dans la plupart des discussions sur la migration. Le point de départ devrait être la reconnaissance du fait que la plupart des migrants sont citoyens d’un pays, ce fait est souvent oublié dans la langue de l’illégalité – il n’existe pas d’être humain illégal. Le défi à relever réside dans la question de comment rendre certains droits fondamentaux transférables, comme ce que nous avons fait pour les professionnels.

De manière plus informelle, pour la classe mobile et globale très riche d’aujourd’hui, la citoyenneté ou l’appartenance formelle autorisée par l’Etat n’ont que peu de sens – ils n’en ont pas besoin pour obtenir l’accès aux territoires nationaux de l’étranger. De plus, la citoyenneté importe de moins en moins aux yeux de la classe immobile des démunis – elle leur donne à peine une plateforme pour leurs revendications, ainsi que peu de droits. Le fait que la haine envers les étrangers puisse cohabiter avec la dénationalisation partielle de l’appartenance politique des riches, doit cela nous informer sur le caractère arbitraire de nos politiques? Nous devrions cartographier l’arbitraire: c’est une source d’informations précieuses.

Par le passé, les raisons et les origines de la migration se distinguent de celles d’aujourd’hui. Mais le fait est que tous les pays européens majeurs ont été des terres d’accueil pendant des siècles. La démographie historique nous montre que la plupart des Etats-nations européens ont “intégré” les étrangers au cours des siècles. Pouvons-nous tirer des leçons de cette Histoire de micro-intégrations multiples associées à une haine souvent meurtrière de l’étranger?

Le sentiment d’hostilité envers l’immigré et les attaques ont eu lieu durant chaque phase majeure d’immigration dans tous les pays d’Europe Occidentale (Sassen 1999). Aucun pays d’accueil de main d’œuvre ne se dégage d’une investigation poussée avec un bilan immaculé.

Les travailleurs français ont tué leurs collègues italiens dans les mines de sel dans les années 1800 et se sont opposés à l’embauche de main d’œuvre allemande et belge pour la reconstruction haussmannienne de Paris, dans les deux cas cela était dû au fait qu’ils représentaient “le mauvais type de Catholiques”.

L’Histoire et la démographique suggère que ceux qui se battent pour l’intégration sur le long terme ont gagné, même si ce n’est qu’une victoire partielle. Le ‘mauvais type de Catholique’ de l’Europe d’hier existe toujours, parmis de nouvelles identités variées – noir, Musulman, etc. Mais le passé nous dit que nous avons tort de penser que les différences de phénotype, de religion et de culture sont des obstacles insurmontables gravés dans le marbre. Les travailleurs migrants belges et allemands, perçus au XIXème siècle comme le ‘mauvais type de Catholique’, sont-ils les migrants africains et Musulmans d’aujourd’hui ?

Le combat pour l’appartenance sociale nécessite du temps, et ne confère pas forcément des droits formels. Mais cela peut finir par bénéficier aux définitions plus formelles de l’appartenance. Au mieux, la diversité et l’étranger enrichissent une dynamique qui met en valeur cette complexité de l’appartenance et de son caractère incomplet.