Entre traduction et action – les nouvelles formes de mobilisation politique

5787093465_cf8acc296c_bPar Niccolo Milanese
Traduction de Camille Nore

Les diverses protestations, occupations et campagnes virales sur le web qui se sont emparées de l’imagination des media et de beaucoup de citoyens, depuis les révolutions arabes de 2010 et 2011, mettent au défi le système de pouvoir actuel en articulant des programmes politiques alternatifs et la mise en pratique de formes politiques renouvelées.

Le slogan « Occupez ! » est compris comme une protestation politique contre certaines pratiques spécifiques, et également comme un nouveau moyen d’être politique, de faire de la politique sans se conformer aux institutions politiques actuelles. La conséquence est que, désormais, la mobilisation politique peut prendre une forme plus traditionnelle comme le fait de placarder des affiches, de se confronter  aux hommes politiques et aux décideurs par la protestation, le lobbying ou la sensibilisation, mais peut aussi se traduire par le fait d’organiser une alternative politique au travers de monnaies alternatives, d’agoras publiques,», de flashmobs, , des cours universitaires dans l’espace public etc.

La naissance d’une nouvelle forme de conscience politique fait face à beaucoup de défis, mais il y a deux manières essentielles de comprendre ces défis : dans une approche de « traduction », et dans une approche d’ « action ».

L’une des forces de cette nouvelle vague de mobilisation politique est sa nature transnationale : de nouveaux réseaux de télécommunications, de solidarité et de compréhension sont construits à travers le monde, de Tokyo à Beijing, de Russie en Europe et du nord de la Méditerranée en Amérique du Nord. La vitesse croissante de la communication entre les continents a grandement contribué à la possibilité de développer des protestations transnationales. Néanmoins, le problème de la « traduction » dans ces contextes est constamment sous-estimé.

Il est évident qu’il existe de grandes et d’importantes différences politiques entre l’Egypte sous le régime Moubarak et la crise de l’Euro en Grèce ;  entre Wall Street et Francfort. Il est aussi évident pour beaucoup de personnes qu’il existe d’importantes similarités – cependant ces similarités doivent être mises en évidence à travers la traduction.

Les slogans habituels « Vraie Démocratie » ou « Nous sommes les 99% », que l’on retrouve sur Twitter ainsi que  sur d’autres medias de masse, ont, par leur généralité, un effet de coalition, mais les situations politiques concrètes qui se cachent derrière ces slogans sont souvent bien différentes. Pour que la coalition soit efficace dans chaque contexte politique sans effet de fracturation, la traduction doit relier le spécifique au général. La coalition transnationale, afin de maintenir son unité dans le temps et son efficacité, doit encourager une prise de conscience partagée des différents contextes et la manière dont ces derniers se connectent au contexte plus général.

L’Europe a un rôle presque unique à jouer dans ce scenario: c’est à la fois un creuset d’information partagée et une machine à potentiel géant de traduction. Les cultures et les peuples du monde entier sont présents en Europe, ce qui signifie que c’est un endroit de partage des connaissances politiques et des informations sur les situations politiques à travers le monde. En même temps et peut-être à l’inverse des Etats Unis ,qui ont une revendication semblable et ancienne d’être le « melting pot » du monde, traduction et diversité sont construites dans l’auto-compréhension européenne. Par conséquent, l’Europe est en position de jouer le rôle de force « universalisante »  qui maintienne la diversité et la pertinence des différents contextes politiques.

Le second défi recouvre l’autre aspect de l’approche par « traduction » : c’est le défi d’être politiquement efficace dans différents contextes politiques, c’est le défi d’ « action ».

Alors que la traduction est requise afin de maintenir l’unité de la coalition transnationale, pour que celle-ci serve son objectif, elle a besoin d’un effet authentique. Il y a eu d’importantes victoires au cours des années précédentes pour ceux qui se sont ralliés au mouvement vers la démocratie et l’égalité, que ce soit par le renversement de dictatures dans la Méditerranée ou par la discussion sur la taxe sur les transactions financières qui avait pour habitude d’être en marge de tout débat. Mais il y a eu aussi beaucoup d’occasions où le changement n’a pas été provoqué. Le mouvement pour la vraie démocratie en Espagne, par exemple, a été incapable de changer la direction des politiques du pays.

Une des forces du mouvement est de faire de la politique d’une nouvelle manière et en dehors des institutions, mais elle s’accompagne d’un risque d’impuissance s’il n’y a pas de stratégie d’engagement avec les institutions politiques existantes qui détiennent toujours le pouvoir.
Le mouvement a besoin de mettre une œuvre une stratégie qui puisse changer les institutions politiques officielles tout en limitant leur importance. Le nouveau mouvement démocratique ignore les frontières où les politiques traditionnelles sont obligées de s’arrêter et de négocier, mais le nouveau mouvement démocratique doit encore utiliser toute sa force afin d’éviter que les politiques traditionnelles ne se cachent dans les échelons de structures qu’elles ont construites pour se protéger. Le défi est particulièrement complexe en Europe, où la souveraineté politique est partagée entre une variété d’acteurs et d’institutions : changer la politique d’un pays se sera pas suffisant pour changer la politique de l’Europe dans son ensemble.

Cette caractéristique emblématique de la situation européenne reflète le défi d’action du mouvement démocratique dans son ensemble, qui doit être à la fois spécifique et général, dans un monde globalisé où aucun acteur politique n’a une domination totale sur son territoire ; C’est uniquement en agissant à cette double échelle que des changements seront durables et significatifs à tous les niveaux A cet égard, l’Europe est un laboratoire de nouvelles politiques au-delà de l’Etat nation, qui est à la fois transnational et local.