NOUS SOMMES LE BIEN COMMUN

Traduit par Audrey Ubertino

En cherchant à savoir comment les gens tentent de s’en sortir pour gagner leur vie en temps de crise, nous entendons beaucoup d’histoires sur la manière dont les gens utilisent les ressources autour d’eux afin de s’aider, eux et leurs voisins, à faire face.


Certaines de ces ressources sont ce que beaucoup considèreraient comme faisant partie du « bien commun » : l’eau, la nourriture, la nature, etc. C’est pourquoi nous débusquons des personnes qui aident à protéger et à découvrir les bien communs dans leur région, afin d’aider leurs communautés à les utiliser collectivement pour gagner leur vie. C’est en partie ce pourquoi les occupants du parc Gezi se battent à Istanbul. Nous avons même eu une caravane des biens communs et nous avons une activité où les gens peuvent les découvrir dans leurs quartiers.


Vous devez penser que l’idée de bien commun relève davantage des places de villages et des fermes, mais nous avons trouvé un groupe dans l’une des régions les plus urbaines du monde, New Cross (quartier du sud-est de Londres). Voici l’interview que nous avons réalisée avec les  New Cross Commoners.


Comment sont nés les New Cross Commoners ?


Nous nous sommes réunis dans un désir de s’engager davantage dans notre quartier : beaucoup d’entre nous font leurs études à l’université de Goldsmith, qui se trouve dans le quartier de New Cross, et les New Cross Commoners sont également un moyen de briser la séparation entre l’université et le quartier.


Les New Cross Commoners ont d’autres motivations que le simple mécontentement vis-à-vis du monde universitaire et de sa privatisation, il y a également le désir d’apprendre de manière différente et d’expérimenter de nouvelles façons de vivre/de gagner sa vie ensemble, qui peuvent fournir une alternative à la concurrence individuelle dans le cadre du marché du travail.


Qu’entendez-vous par « biens communs » ?


La signification de « biens communs » et de « mise en commun » est quelque chose que nous tentons de comprendre ensemble, par rapport à la vie de New Cross, le quartier où beaucoup d’entre nous vivent, travaillent, étudient, et par rapport à nos expériences, et avec le rassemblement des New Cross Commoners eux-mêmes. Pour nous, il n’est pas tellement important d’établir des définitions abstraites de « biens communs », mais plutôt de comprendre leurs effets, le potentiel d’émancipation sociale et politique que peuvent avoir les biens communs.


Pour répondre de manière plus précise, nous pouvons dire que les biens communs impliquent :
 
1. Une ressource collective, matérielle ou immatérielle
2. Un processus de mise en commun, ce qui signifie que les gens doivent se rassembler afin d’employer les ressources en s’organisant et en luttant avec l’état et le marché,
3. Une communauté non-homogène : le rassemblement de personnes doit perturber la séparation sociale basée sur les classes, l’âge et ainsi de suite.


Qu’est-ce qui fait des biens communs dans un contexte urbain quelque chose d’unique ?


Nous ne sommes pas sûrs de savoir comment répondre à cette question, en partie parce que nous considérons l’opposition rural/urbain comme problématique, et en partie parce que nous n’avons pas d’expérience directe des biens communs et de la mise en commun en dehors du contexte urbain. Peut-être pourrions-nous dire que, en ce qui concerne Londres/New Cross, les termes « biens communs » sont généralement associés avec les terres et avec quelque chose qui était défini juridiquement et qui a disparu il y a longtemps.


Afin d’expliquer la notion de biens communs, nous utilisons parfois l’exemple d’une place : une place publique contrôlée et réglementée depuis en-haut, par la municipalité, qui la nettoie et qui exerce légalement des restrictions vis-à-vis de son utilisation. Une place publique est privatisée si, par exemple, elle est vendue à une société en tant que propriété et, dans ce cas, le contrôle est souvent plus sévère, et l’enceinte peut également devenir physique.


Cette même place devient un bien commun lorsque les gens commencent à l’utiliser collectivement et à s’organiser, en dépit et contre le contrôle que la municipalité ou que la propriété privée y exercent. Quelle est l’importance des biens communs pour un quartier comme New Cross ? New Cross est l’un des quartiers de Londres qui a été le plus durement touché par les coupes budgétaires des services publics : beaucoup de bibliothèques municipales ont déjà fermé, l’hôpital et la caserne des pompiers sont menacés, les logements sociaux sont eux aussi privatisés malgré une longue liste d’attente de personnes et de familles sans logement.


Le gouvernement liquide ce qui est public et, en même temps, encourage les citoyens à se réunir et à s’entraider en utilisant la rhétorique de la « grande société ». Un exemple de projet de « grande société » est le nouveau type d’école libre encouragé par le gouvernement, où « free » (libre, gratuit) a le même sens que « liberté » néolibérale : ces écoles sont libres de rivaliser, elles ne sont pas organisées par les parents, les enseignants et les élèves mais confiées par les parents à des patrons, dont le travail est, en fin de compte, de garantir leur compétitivité en tant qu’entreprise.


Il s’agit d’un problème complexe qui concerne les biens communs, étant donné que les biens communs peuvent être produits dans les interstices entre les « coupes budgétaires » et la « grande société », et contre eux.


Afin d’aider les jeunes à comprendre comment ils pourraient mettre en place des activités similaires à l’endroit où ils vivent dans toute l’Europe, quelles sont les différentes mesures que vous avez prises depuis que l’idée des New Cross Commoners est née et où en êtes-vous aujourd’hui ?


Les New Cross Commoners ont un site Internet où toutes les étapes du processus sont notées : le site est également destiné à être une boîte à outils que tout le monde peut utiliser. Nous avons débuté les New Cross Commoners il y a peu de temps et nous devons consolider le processus avant d’établir d’autres sortes d’engagements avec des personnes dans toute l’Europe, mais nous pensons déjà à la possibilité d’organiser des échanges avec des personnes qui opèrent de manière similaire en Europe, afin d’apprendre les uns des autres.


Quelles sont les méthodes que vous utilisez pour trouver des biens communs dans New Cross et pour stimuler leur circulation ?


Si nous parlons de méthodes, en termes pratiques, quand nous nous retrouvons, nous essayons d’associer différentes choses : de la lecture et des discussions, des marches et des visites, de la confection et de la création (confection de cartes et de modèles, cuisine, plantations… nous faisons souvent du sport ensemble !). C’est également une manière d’apprendre à collectiviser différentes choses et différents aspects de nos vies. Et c’est une tentative pour faire les choses de manière différente en remettant aussi en question la séparation entre les besoins et les envies.


Par exemple : lire et discuter des théories devient différent du genre de lectures et de discussions que nous pouvons avoir à l’université : nous lisons pour apprendre quelque chose d’utile, quelque chose qui s’applique directement aux endroits que  nous visitons, à la vie de quartier, à nos expériences de partage et d’entraide. C’est différent des discussions théoriques dans le monde universitaire, où nous sommes guidés par la figure du professeur, où nous devons nous conformer à une honorabilité d’expression académique, où on vous demande de comprendre la théorie plutôt que d’en faire une utilisation pratique et où la compétition façonne toujours les relations.


Avec les New Cross Commoners, nous apprenons de nouvelles manières d’utiliser la théorie grâce également à ces « commoners » qui ne sont pas des étudiants et qui apportent une approche différente à nos discussions. La théorie peut devenir une arme que nous pouvons utiliser de manière pratique.


Ces méthodes peuvent-elles également être utilisées pour aider les jeunes à comprendre comment ils peuvent gagner leur vie ?


C’est en partie l’objectif des New Cross Commoners, mais nous en sommes encore loin : si nous parlons des biens communs, nous ne parlons pas uniquement des envies (l’envie de connaître le quartier, de se rassembler, de discuter de problèmes importants qui affectent nos vies, etc.) mais également des besoins.


Dans la première phase des New Cross Commoners, nous explorons également le quartier afin de comprendre quelles ressources nous pourrions collectiviser et utiliser en tant que biens communs. Il s’agira alors de s’orienter progressivement d’une approche individuelle vers une approche collective, lorsque nous faisons face aux besoins et à l’utilisation des compétences et des ressources.


Quels types de biens communs avez-vous trouvés qui pourraient aider les gens à s’en sortir pour gagner leur vie ?


Comme nous l’avons dit plus haut, gagner sa vie en tant que New Cross Commoners est un objectif qui devra se réaliser à un moment donné, mais cela se produit progressivement, et nous aimons prendre le temps pour que cela se produise selon l’énergie que nous avons et que nous pouvons produire, afin d’éviter l’épuisement.


Plutôt que de décider un jour de mettre en place une coopérative des travailleurs, nous établirons probablement quelque chose de semblable, mais quelque chose qui nous permettra toujours de lire des textes ensemble, de s’engager dans la vie du quartier et dans les luttes locales, et de produire du plaisir lorsque nous nous rassemblons, en dehors des recommandations de l’industrie du divertissement.


Qu’est-ce qui vous à surpris à propos du genre de biens communs que vous avez découverts dans New Cross ?


Leur complexité et la complexité des luttes qu’ils impliquent. Des bibliothèques qui étaient municipales et qui sont maintenant dirigées par des bénévoles, aux coopératives d’habitation et aux jardins communaux, tous les lieux que nous croisons nous montrent qu’un bien commun n’est jamais « pur », il est toujours, d’une manière ou d’une autre, opposé à la fois au côté public de l’état et au côté privé du marché.


Les biens communs doivent être antagonistes pour être émancipateurs, pour produire l’émancipationvis-à-vis du capitalisme, le système dominant, qui cause l’effondrement de cette planète, de nos sociétés et de nous-mêmes.


Que diriez-vous aux personnes qui ont peur ou qui se sentent exclues parce qu’elles ne trouvent pas de travail ?


 Réunissez vous, rejoignez un collectif, rejoignez une campagne dans votre quartier. Ne passez pas vos journées devant votre ordinateur, sortez et rencontrez des gens qui organisent des choses ensemble. Lisez sur les biens communs et la mise en commun avec vos amis (de bons textes sont disponibles sur notre site). Le bon côté de commencer avec les biens communs, comme des personnes tels que Massimo De Angelis et Silvia Federici les définissent (des personnes qui ne se contentent pas de théoriser mais qui ont également une expérience de militants dans la lutte pour les biens communs), est que la mise en commun est potentiellement de partout, à chaque fois que nous nous réunissons et que nous nous entraidons.


Cela se produit déjà au travail ou au sein de nos familles, et cela signifie que nous savons déjà, d’une certaine manière, comment coopérer. Il s’agit donc de commencer du milieu, d’où nous sommes, pour émanciper les biens communs de leur organisation hiérarchique, du marché et du capitalisme.


Si vous souhaitez interviewer des personnes ou des organisations sur la façon dont elles gagnent leur vie, ou si votre groupe a une histoire que vous aimeriez partager, consultez cet article, envoyez nous un mail et nous la publierons sur notre site Internet !


Si vous en redemandez et que vous souhaitez vous impliquez davantage, voici une autre occasion excitante pour que votre travail soit présenté lors de notre festival primé ! Nous avons créé une méthode où vous pouvez imaginer une journée dans la vie d’un jeune en 2020 en utilisant les personnages qui ont été développés : les Citoyens Invisibles, la Génération Zombie, les Optimistes Militants et les Hackers de lifestyle.