Un mouvement pour une réelle démocratie

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Traduction de Sara Petrucci

Entretien avec Gemma Galdon Clavell, Chercheur à l’Université autonome de Barcelone et membre des Indignés espagnols, sur la situation actuelle et le futur du mouvement des indignés ainsi que sur la dimension transnationale des manifestations.

Pourriez-vous résumer les trois revendications les plus importantes qui sont, à votre avis, associées au mouvement pour une réelle démocratie?

-La démocratie (la transparence, la responsabilité et une réforme électorale qui permette aux nouveaux partis d’obtenir une représentation significative et de mettre fin à la dominance bipartite)

-La fin de la corruption (répandue parmi les hommes politiques, tolérée par bon nombre d’entre eux et qui, la plupart du temps, demeure impunie)

-Limiter le pouvoir du « marché » & mettre en place des lois pour protéger les citoyens des grandes entreprises (particulièrement les banques, et surtout une nouvelle loi pour protéger les citoyens des saisies hypothécaires)

Toutefois ces quelques points constituent également des revendications importantes : la neutralité d’internet et l’échange gratuit de dossiers internet entre utilisateurs, ainsi qu’une chance pour les jeunes générations et les autres secteurs de la population qui ont été mis à l’écart du « pacte de transition » d’avoir leur mot à dire.

Pensez-vous que ces exigences sont réalisables dans un contexte purement national ?

Elles pourraient être réalisées, si la dynamique pour une réforme néolibérale n’était pas mondiale. Si la pression à travers le monde n’était pas si forte sur les hommes politiques afin qu’ils prennent des décisions en faveur des entreprises, des réformes nationales seraient réalisables dans un contexte national.

D’une certaine manière le résultat réel du processus de la mondialisation est la diminution de notre capacité à participer à la politique de manière significative, car dans le cas où un accord au niveau local/national va à l’encontre de l’hégémonie mondiale actuelle, cet accord sera écrasé. Dès lors, mon ressenti est que si les institutions européennes ne font pas preuve d’une volonté de rompre le consensus économique actuel,  les revendications de reprise de contrôle de la politique au niveau local augmenteront. De deux choses l’une : soit l’Europe commence à agir comme un espace où la voix du citoyen est prise en compte de manière sérieuse, soit l’Europe cessera d’être un espace de prise de décision sur nos vies quotidiennes qui soit utile ou appréciable

Il semblerait que le mouvement 15-M espagnol ait été une source d’inspiration pour d’autres manifestations à travers l’Europe. Selon vous, dans quelle mesure pouvons-nous déjà parler d’un mouvement transeuropéen? D’après vous quel(s) élément(s) manquent aujourd’hui pour garantir une meilleure coordination transnationale et de meilleures formes d’organisations collectives au-delà du niveau national ?

Je ne pense pas que nous puissions parler d’un mouvement transeuropéen. L’inspiration (si vous voulez la nommer ainsi) pour le 15-M venait à l’origine de la place Tahrir et des révolutions du Moyen-Orient, puis des événements récents au niveau politique et économique en Islande (referendums, changement de gouvernement, une nouvelle constitution élaborée avec la participation et en s’appuyant beaucoup  sur les réseaux sociaux, internet etc….).

De plus, je dirais aussi que la coordination transnationale est inexistante pour le moment. Serait-elle souhaitable? Oui, mais de la même manière que les Etats membres n’ont pas été capables de construire un agenda européen et une collaboration transnationale, la population des Etats membres ne ressent pas de lien avec les événements se déroulant ailleurs. Les deux facteurs qui éventuellement contribuent à ce phénomène sont  les suivants: d’une part, l’Espagne connaît assez de problèmes avec sa propre identité en tant qu’Etat ;  d’autre part, il est difficile pour les Espagnols de considérer que leurs problèmes sont les mêmes que ceux des pays nordiques, particulièrement lorsque nos histoires et nos réalités sont si différentes : nos économies sont différentes, nos systèmes politiques sont différents, et, surtout, nos conditions économiques (instabilité de l’emploi, revenu minimal, etc. ) sont pires que partout ailleurs. L’idée que nous puissions proposer un agenda commun au niveau européen semble être une idée étrange pour la plupart, car bon nombre de personnes pensent que nos problèmes ne sont pas partagés par le reste de l’Europe.

Cependant, si le processus d’intégration européenne ne se caractérisait pas par une course à l’abîme, cela pourrait changer. Simplement, je ne vois pas cela arriver.

Néanmoins, je pense qu’il existe un scenario qui pourrait  rendre l’ « Europe » pertinente : un processus par lequel les mouvements nationaux puissent se réunir dans leur lutte – pas nécessairement à travers le partage des mêmes revendications, espaces ou langues, mais en voyant leurs valeurs de changement et de justice répliquées partout ailleurs. Une unité dans l’action est la seule unité que je vois émerger. Et ce type d’unité ne connaît pas de frontières -ni les Pyrénées, ni Schengen, ni la Méditerranée…

A son tour, le mouvement espagnol, s’est inspiré du printemps arabe et de la révolution du jasmin. A votre avis, est-ce que l’expansion et la construction sur ces exemples des revendications en Europe est une priorité pour les mouvements actuels?Est-ce que cela devrait-être le cas selon vous ?

Je dirais que la plupart des gens ne ressentent pas le besoin d’un lien au-delà de la capacité à s’inspirer les uns les autres et échanger des messages de soutien.

je ne veux pas dire que des réunions et des espaces d’échange d’idées et d’expériences ne seraient pas intéressants ou souhaitables, mais cela ne serait pas essentiel en termes de renforcement du mouvement. La raison pour laquelle le 15M a réussi à captiver l’imagination de la plupart des Espagnols (depuis le début du mouvement, le taux de soutien n’est pas descendu sous la barre des 80%) est fortement liée aux événements nationaux (historiques, politiques et économiques) ainsi qu’à la façon dont la crise est gérée (en faisant exactement l’inverse de ce que les gens ont besoin, en plaçant les intérêts privés avant le mandat démocratique du parti socialiste au pouvoir).

En fait, si d’autres pays parvenaient à éveiller leur propre population et commençaient à prendre leur avenir en main,  une unité d’action pourrait faire son apparition. Si un phénomène similaire au 15M, au printemps arabe ou aux manifestations grecques se produisait ailleurs, créer des liens serait alors davantage une priorité.

Ces mouvements expriment une claire défiance à l’égard des structures politiques existantes, que ce soit des partis, des syndicats ou des organisations supranationales. Dès lors, de quelle façon le mouvement devrait-il négocier la question du pouvoir? Selon vous, quel type de stratégie permettrait de changer les structures actuelles de législation et de prises de décisions ?

Le mouvement est clair sur un point: jusqu’à présent, toute personne ayant affirmé représenter la population n’a rien fait d’autre que de tous nous trahir. Le sentiment selon lequel quelque soit notre vote, (et même lorsque nous votons) nous sortons perdants est très répandu.

Ainsi, il existe un rejet de tout ce qui a précédé, et le slogan  « ils ne nous représentent pas » est devenu le leitmotiv du mouvement. Cependant, je ne crois pas que cela signifie que le mouvement soit contre la représentation en elle-même. Il vise la représentation des 35 dernières années, où les soi-disant représentants, de droite ou de gauche, se sont révélés incapables de représenter nos besoins à travers leurs politiques et de mener des trains de vie similaires aux nôtres.

Pour être honnête, je ne pense pas que le mouvement vise le pouvoir. Le mouvement tente d’amener l’intégrité et le bon sens au débat politique et au paysage social. Il veut convaincre et non pas imposer. Et il veut amener le changement par la force de millions de personnes. Dans une démocratie, cette stratégie devrait suffire à introduire un changement: si la majorité soutient le changement, le changement doit avoir lieu.

Toutefois, si le système actuel est incapable de répondre aux revendications du mouvement, il ne fera que renforcer l’idée selon laquelle « ils appellent cela une démocratie, mais ce n’en est pas une ». A mesure que la crise se fait toujours plus profonde, et que les soit disant représentants démontrent une fois de plus leur incapacité totale à faire les bons choix, le mouvement devra faire face à la question du pouvoir. Pour le moment, il s’agit seulement de montrer que nous sommes des millions, et que cela devrait passer avant tout le reste.

Les nouveaux ou les anciens partis peuvent-ils relever ce défi et montrer que la démocratie représentative ne doit pas être un espace pour les intérêts privés et la corruption ? Peut-être. Le temps nous le dira.

Nous avons tous suivi avec enthousiasme le spectacle de centaines de personnes arrivant à des décisions collectives par consensus dans des lieux publics remplis par la foule. Selon vous, quelle forme organisationnelle le mouvement prendra-t-il? Comment la longévité, la capacité organisationnelle et l’efficacité peuvent-elles être garanties tout en maintenant une approche « bottom-up », de la base vers le haut ?

Je pense que les rassemblements populaires vont continuer, tant sur le terrain (places, quartiers, etc.) qu’en ligne. Une génération entière est en train d’être socialisée dans la lutte et le débat politique, et cela va durer.

Bon nombre de personnes qui se joignent au mouvement n’ont aucune expérience politique antérieure, c’est pourquoi le processus se déroule au fil de l’expérience– ce qui signifie qu’il y a des erreurs, mais les personnes en tirent des leçons. Ce mécanisme est resté enfoui pendant si longtemps qu’il y a, dans une certaine mesure, un besoin de le réinventer. D’où le besoin d’accentuer le consensus et la représentation directe. Cependant, le processus est toujours en cours de fabrication.

Dans le futur proche, je pense que la capacité des assemblées locales à préserver leur force et la capacité d’internet  à construire des espaces de soutien mutuel, d’encouragement et d’élaboration de stratégies en surprendra beaucoup et mobilisera davantage de personnes. Le mouvement a d’ores et déjà accompli des éléments importants – selon moi, il a complètement changé le paysage politique, le langage, le futur… même si beaucoup veulent le minimiser. L’approche « bottom-up » sera assurée par la mobilisation au niveau local, par l’urgence de la situation provoquée par la mauvaise gestion de la crise (et du boom qui a précédé) et par la radicalité démocratique des propositions.

Pour conclure, pensez-vous que la démocratie parlementaire doit être remplacée, ou simplement améliorée?

J’aimerais beaucoup améliorer la démocratie parlementaire. J’aimerais qu’il soit possible de changer les choses à travers le vote. Néanmoins, je pense que nos démocraties ont oublié depuis longtemps qui elles doivent servir et quel est leur but. Il semble qu’elles n’appliquent pas ce qu’elles prêchent. Si elles ne peuvent et ne veulent représenter leurs électeurs et les droits des citoyens, alors elles devraient être remplacées. Le sentiment qui règne est que, si la réforme démocratique est impossible, la révolution démocratique sera inéluctable. La balle est dans leur camp.