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3 questions à Sandro Mezzadra

Sandro Mezzadra participera au Festival Transeuropa qui se tiendra à Bologne le 12 mai, dans
le cadre de l’événement suivant : Vers une Charte européenne des droits communs.
Nous l’avons interviewé à propos des défis auxquels l’Europe est actuellement confrontée.

Par Giampaolo Faella
Traduction par Adeline Monnin

Professeur Mezzadra, vous avez participé aux précédentes éditions du Festival : à votre avis, quel est le rôle de cet événement au sein d’une période aussi incertaine, qui est également une période de transition, pour les Européens ?
 
À mon avis, il ne s’agit pas simplement d’une période de transition ou d’incertitude. Je dirais plutôt, d’une manière beaucoup plus banale, que le projet européen traverse une période de crise. Par conséquent, je crois que nous sommes tous confrontés à un défi : vous, tout autant que ceux qui, comme moi, réfléchissent depuis plusieurs années à une politique se situant au cœur d’un espace européen. Ce défi est le suivant : il faut envisager la crise de façon radicale. Cependant, il ne faut pas se cantonner aux généralités, le problème étant que beaucoup d’entre nous envisagent l’Europe et les pratiques européennes « à l’intérieur mais contre » un espace institutionnel européen. C’est pourquoi je pense que le prochain Festival devrait aborder la question suivante : « Cette conception est-elle toujours valable, ou devons-nous finalement modifier notre raisonnement et sortir de cet espace institutionnel pour en changer radicalement notre conception ? ». Je crois que lors du prochain festival, cette question doit être au cœur des débats.
 
Dans vos travaux, vous présentez l’immigration comme une force créative ancrée dans les structures économiques, sociales et culturelles ; cette force ayant réellement commencé à poindre lors des nombreuses émeutes liées à l’immigration qui ont éclaté en Europe, par exemple à Rosarno et à Vincennes. Comment décririez-vous cette opinion émergente ? Qu’apporte-t-elle au sens que revêt la citoyenneté européenne ?
 
Il faut replacer cette question dans son contexte. D’autres ont commencé, comme moi, à comparer l’immigration à un mouvement social il y a environ dix ans. Le but était d’initier des actions politiques adaptées à la dimension transnationale des mouvements de migration et aux problèmes que cela poserait, selon moi, à la citoyenneté. À l’époque, parler de citoyenneté revenait précisément à parler de citoyenneté européenne. Les années 1990 se sont révélées être une période faste en débats autour de ce thème, que ce soit d’un point de vue intellectuel, politique, ou même au niveau des médias. En effet, la citoyenneté européenne était alors l’objet de grandes attentes. Une citoyenneté transnationale offrait la chance de se libérer d’un héritage national extrêmement lourd et on avait le sentiment que de nouvelles bases pour le combat social venaient de naître. Comme je l’avais écrit à ce moment-là, la citoyenneté n’était pas une fin, mais plutôt le point de départ d’une contestation. Nous avions réussi à identifier quelques étapes que nous pensions cruciales à mettre en place, comme nous l’avions fait avec la campagne consacrée à la citoyenneté, acquise de naissance ou par droit du sol. Il est vrai que j’étais quelque peu dubitatif, mais j’ai admis qu’il s’agissait d’un élément essentiel à l’enrichissement d’un sujet source de conflits. De plus, nous ne pouvons pas oublier la réflexion concernant une caractéristique juridique qu’il convenait de dépasser : la citoyenneté européenne était considérée comme une citoyenneté de second ordre. Par voie de conséquence, cela se rapportait également à la possibilité d’une naturalisation directe. Quoi qu’il en soit, j’ai le sentiment que ces questions ne sont plus d’actualité. C’est pour cette raison que je reviens au point précédent : le temps est venu d’examiner en détail ce qui a changé, ainsi que les nouveaux outils et moyens de communications dont nous avons désormais besoin.
 
Pour beaucoup de jeunes vivant au nord de l’Afrique, l’Europe est un modèle. Inversement, beaucoup en Europe espèrent plus ou moins ouvertement un bouleversement social, d’une intensité similaire à ce qu’il se passe en Afrique. Sommes-nous tous en train de nourrir des illusions, ou cette génération a-t-elle réellement une cause commune pour laquelle elle doit se battre ?
 
Ne perdons pas de vue que les illusions, les rêves ou tout autre produit de notre imagination ont souvent un impact sur la réalité, et cet impact est aussi concret qu’un autre, même s’il est le fruit d’un rêve. J’ai l’impression d’avoir observé exactement la même dynamique l’année dernière, où les jeunes ont été l’intérêt commun des banques de part et d’autre de la Méditerranée. Je crois qu’il y a encore quelques « soubresauts » de temps à autre, au Maghreb et au Machreq tout autant qu’en Europe. Néanmoins, il faut aussi tenir compte du fait que les illusions gardent un degré de fiction. Il me semble qu’ici se pose un problème fondamental : à nouveau définir un espace euro-méditerranéen ne se résume pas à le mettre en place au sein des partenariats ou accords actuellement en vigueur. Si l’on veut que la liberté et l’égalité aient leur place, il est nécessaire de rétablir un équilibre entre le nord et le sud de la Méditerranée en matière de libre circulation.
 
Sandro Mezzadra est agrégé en théorie politique à l’université de Bologne. Il fait partie du Comité de rédaction de Studi Culturali, Scienza & Politica et de Filosofia Politica. Il est coéditeur de l’ouvrage The Borders of Justice, avec Étienne Balibar et Ranabir Samaddar (Temple University Press 2011). Il est en train d’écrire un livre, Border as Method, avec Brett Neilson. Ce livre sortira en 2012, chez Duke University Press. Sandro Mezzadra a beaucoup écrit à propos de l’immigration, du capitalisme, du colonialisme et du post-colonialisme, de l’opéraïsme italien et du marxisme autonome.