May 14, 2013
Un autre chemin pour lEurope
Article pour OpenDemocracy, 24 juin 2012
Le 28 juin, un forum à Bruxelles présentait des alternatives face à l’inaction du Conseil européen.
Article par Mario Pianta
Traduction par Aliénor Daumalin
Le 28 juin, le Conseil européen, composé des dirigeants des 27 pays de l’UE, se rassemblera à Bruxelles pour prendre des décisions clés concernant la crise en Europe. La semaine précédente, le sommet du G20 a considéré la situation mondiale et mardi dernier, à Rome, les dirigeants des quatre plus grands pays de la zone euro se sont préparés pour le débat du prochain Conseil. Peu de choses sont ressorties de ces multiples rencontres ; aucun changement de politique ne pointe à l’horizon et l’exacerbation de la crise en Europe est globalement passée sous silence.
La première « nouvelle potentielle » que l’on peut attendre de Bruxelles concerne la taxe sur les transactions financières. À l’issue du sommet de Rome, le ministre de l’économie allemand, Wolfgang Schäuble, a déclaré que dix États membres étaient désormais prêts à l’instaurer. Longtemps attendue, cette mesure serait un succès pour ceux qui réclament depuis vingt ans l’introduction de la taxe Tobin ; même si elle ne s’appliquait qu’à quelques pays, ne touchait que certaines activités spéculatives et pouvait être contournée par les stratégies de la finance, cette taxe marquerait un tournant décisif. Pour la première fois en cinq ans de crise, la politique porterait un « coup » à la finance. Nous n’assisterions plus seulement à la passivité des gouvernements qui, face à la spéculation, sauvent les banques privées avec l’argent public tandis que le budget des États est soumis à des contraintes inacceptables dans le but de réduire la dette. Nous pourrions voir les banques d’investissement perdre un peu de leur pouvoir et la spéculation diminuer. Malheureusement, l’Europe abandonne l’idée dune règle commune et se tourne vers une « initiative de coopération renforcée » entre quelques pays ; le R-U de David Cameron, le plus farouche opposant à la taxation de la finance, est tiré d’affaire. Ce Conseil européen nous dira si cette initiative sera réellement et rapidement mise en place.
La seconde « nouvelle potentielle » touche à la responsabilité collective des pays de la zone euro vis-à-vis de la dette publique – mais il est peu probable qu’une décision soit prise à ce sujet lors du sommet à Bruxelles. L’Italie, la France et l’Espagne ont (timidement) demandé à ce que les Fonds européens créés pour faire face à la crise – le FESF et le MES – achètent des titres aux pays fragilisés afin de faire retomber les taux d’intérêt ; la solidarité (et les euro-obligations) passent avant le transfert de souveraineté, a souligné François Hollande, le nouveau président socialiste. Mais la chancelière allemande, Angela Merkel, s’y oppose fermement : ce qu’il faut c’est une « union budgétaire » – plus stricte encore que le pacte budgétaire défini quelques mois plus tôt et toujours en attente de validation par le Parlement européen – qui s’apparenterait à un protectorat allemand sur la liberté des pays de la zone euro à gérer leurs dépenses ; les euro-obligations attendront encore. La vraie nouveauté vient de la « conversion » de Christine Lagarde, directrice générale du FMI. Elle a demandé à l’Europe d’instaurer sur-le-champ des euro-obligations ainsi qu’une « union budgétaire » et de faire en sorte que la Banque centrale européenne (BCE) achète ces titres, mettant un terme à la récession juste à temps pour soutenir la réélection de Barack Obama aux É-U en novembre prochain. Les dirigeants de l’UE risquent de rester dans l’impasse longtemps encore après le sommet de Bruxelles et Mario Draghi, le président indécis de la BCE, reste le seul a pouvoir agir. Il a jusqu’à présent sauvé les banques, refusé de soutenir les dettes publiques des pays en difficulté et inquiété le gouvernement allemand après avoir demandé une « union bancaire » permettant de contrôler les agissements trop risqués des banques. La confusion règne.
La troisième « nouvelle potentielle » – 130 milliards d’euros pour financer la croissance – est en fait infondée : nous ne savons pas d’où provient cet argent, où il ira, ni de quelle façon il pourrait bien mettre fin à la récession en Europe. Des actions modérées sur le capital de la Banque européenne d’investissement et un remaniement des fonds actuels de l’UE ne constituent en rien une nouveauté.
Les « véritables » nouvelles à la veille du sommet de l’UE sont bien plus sinistres. Les marchés financiers continuent à parier contre les gouvernements européens et témoignent de sombres perspectives économiques. Lundi, le gouvernement espagnol a officiellement demandé l’aide de l’UE pour refinancer ses banques privées. La Grèce ne fait plus les unes des journaux mais la crise – économique autant que politique – est loin d’être résolue, malgré le court répit que Bruxelles lui accordera peut-être en amendant le mémorandum imposé à Athènes. Et il y a le cas de Chypre ; cette petite île à l’Est de la Méditerranée, membre de la zone euro, est devenue un paradis financier pour les capitaux de Russie et du Moyen-Orient mais deux de ses banques sont à présent au bord de la faillite – leur déficit s’élève à 20% du PIB, selon Moody’s. Le premier ministre chypriote, un communiste lié à la Russie, a réclamé à Moscou un important prêt d’urgence et pourrait bientôt frapper à la porte de Bruxelles pour demander l’aide de l’UE. D’ailleurs, Chypre assurera la présidence tournante de l’Union à partir du 1er juillet 2012. La plus grande zone économique dirigée par un paradis financier en faillite : ce pourrait être un épilogue adéquat pour une Europe incapable de contrôler la finance et d’enrayer sa propre chute.
Pour remettre l’Europe sur la bonne voie, quatre thèmes clés, ignorés par les dirigeants européens, doivent être replacés au cœur du débat.
Le premier est relatif à la nécessité de maîtriser la finance. Ce sujet pourrait semer la discorde dans un contexte où la politique européenne évolue si vite. La spéculation implique des taux d’intérêts exorbitants sur la dette publique, la réduction des salaires et des prestations sociales ainsi qu’une récession permanente. Il est dans l’intérêt de tous (ou presque) – entreprises, travailleurs et forces politiques opposées à l’ultralibéralisme – de briser cette spirale grâce à un « consensus post-libéral » sur des mesures comme la limitation drastique des activités financières, l’instauration de la « règle Volcker » accompagnée du rétablissement d’une distinction stricte entre banques de dépôt et d’investissement, la restriction des opérations à haut risque et manquant de transparence (opérations hors cote, produits dérivés, etc.), la fin des paradis fiscaux ainsi que l’harmonisation fiscale en Europe. Tous les États membres « périphériques » bénéficieraient grandement de cette évolution et la France pourrait envisager de prendre la tête d’une telle alliance afin de modifier le cours de l’intégration européenne.
La seconde question se rapporte aux fuites de capitaux, un sujet exclu de tous les débats alors qu’il est à la source de l’exacerbation de la crise en Grèce, en Espagne et en Italie. Les traités de l’UE garantissent la libre circulation des capitaux mais les gouvernements ont depuis longtemps pris l’habitude de restreindre ce principe. Dans les pays fragilisés, les incertitudes concernant la sortie de l’euro ont poussé les entreprises et les riches à transférer leur argent sur des comptes en Suisse, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Luxembourg ou dans d’autres paradis fiscaux. Ceci a terriblement aggravé le déséquilibre de la balance des paiements en Europe, privant ainsi de ressources financières les pays qui en avaient justement le plus besoin pour restaurer leur capacité de production et leur compétitivité. Même le FMI a soulevé la question de la réduction des déséquilibres des flux de capitaux ; encourager le réinvestissement des capitaux dans l’économie dont ils sont issus semble être une politique adaptée si l’on veut aider l’Europe à sortir de la crise. Une politique fiscale harmonisée qui pénaliserait la fuite des capitaux et des contrôles administratifs pourraient également y contribuer. Ceci profiterait encore une fois à l’économie réelle de tous les pays tandis que les grandes entreprises et les riches seraient enfin soumis à quelques contraintes.
Le troisième thème est la récession en Europe. L’année 2012 sera témoin d’une baisse du PIB pour toute la zone Euro. Plusieurs pays sont confrontés à une chute importante de leur PIB, dont le niveau est désormais le même que dix ans auparavant, et même l’Allemagne, modèle de réussite grâce à l’exportation, commence à s’essouffler. Selon le dogme néolibéral repris à chaque sommet de l’UE, baisser les salaires et les dépenses publiques favorise la compétitivité, les exportations et la croissance ; en réalité, cela entraîne l’Europe vers une nouvelle grande dépression. Nous devons tirer la leçon des années 30 : il faut stimuler la demande, redistribuer les revenus et les richesses des clases aisées aux pauvres pour renverser cette inégalité sans précédent en Europe. Ce n’est pas qu’une question de quantité, c’est aussi une question de qualité. L’accroissement de la demande doit se faire au moyen de « bonnes » dépenses publiques comme la protection sociale, l’éducation ou les politiques sociales et environnementales. L’investissement et l’exportation doivent être encouragés lorsqu’ils contribuent à façonner une économie moins gourmande en énergie et en ressources qui permette une amélioration qualitative de l’emploi, des salaires et de la durabilité. Un « new deal » vert pourrait jouer un rôle important dans la sortie de la crise européenne. La redistribution des revenus est essentielle pour compléter les ressources de chaque citoyen et l’on pourrait envisager la création d’un revenu de base. Des mesures fiscales pourraient décourager la consommation débridée ; tout devrait être fait pour encourager un modèle de consommation plus modéré.
La quatrième question a trait à la politique. La crise en Europe a conduit à un effondrement de la démocratie. Des décisions ont été prises – trop peu, trop tardives, trop maladroites – à Berlin, à Bruxelles et à la BCE ; les gouvernements des autres pays de l’UE n’ont aucun poids, le Parlement européen n’as pas son mot à dire. Une polarisation est apparue avec d’un côté le pouvoir grandissant de l’Allemagne (et ses états satellites), dispensé de tout contrôle, contrepoids et responsabilité, et de l’autre côté une périphérie européenne fragmentée et en déclin. Dans ce contexte, toute tentative d’intégration accrue risque d’offrir plus de pouvoir à Berlin, ce dont Paris s’inquiète. La démocratie – entre et à l’intérieur des États et de l’ensemble européen – doit être le point de départ auquel nous devons revenir si nous voulons éviter que la crise économique ne devienne une crise politique majeure. Une plus grande pratique de la démocratie est le seul moyen d’éviter la perspective d’une Europe « pangermanique », d’une part, ou le retour illusoire du nationalisme, d’autre part.
Ces quatre questions cruciales pour la crise en Europe ne seront pas abordées par le Conseil européen le 28 juin à Bruxelles. Elles seront au cœur d’une réunion parallèle tenue le même jour à Bruxelles, au Parlement européen : le Forum « Another Road for Europe ». À l’initiative de trente organisations sociales à travers l’Europe, avec la coopération des groupes parlementaires des Verts et de la Gauche unitaire européenne, ce forum sera dédié aux alternatives face à la crise en Europe avec un débat organisé entre une cinquantaine d’économistes, de syndicalistes et de représentants de mouvements sociaux ainsi qu’une trentaine de membres du Parlement européen et d’hommes politiques de différents pays – socialistes, démocrates, verts ou de gauche. Après cinq sévères années de crise, un rassemblement de « l’autre Europe », susceptible d’indiquer des alternatives possibles au pouvoir de la finance et au néolibéralisme, pourrait bien être la meilleure nouvelle à attendre de Bruxelles ce 28 juin.
Le Forum sera diffusé en streaming sur internet. Retrouvez toutes les informations sur www.anotherroadforeurope.org
Mario Pianta est professeur de politique économique à l’Université d’Urbino et a travaillé à l’Institut universitaire européen, à la London School of Economics et à la Sorbonne. Il fait partie des fondateurs de Sbilanciamoci!, une coalition de cinquante groupes de la société civile qui travaille sur les alternatives économiques.
Le 28 juin, un forum à Bruxelles présentait des alternatives face à l’inaction du Conseil européen.
Article par Mario Pianta
Traduction par Aliénor Daumalin
Le 28 juin, le Conseil européen, composé des dirigeants des 27 pays de l’UE, se rassemblera à Bruxelles pour prendre des décisions clés concernant la crise en Europe. La semaine précédente, le sommet du G20 a considéré la situation mondiale et mardi dernier, à Rome, les dirigeants des quatre plus grands pays de la zone euro se sont préparés pour le débat du prochain Conseil. Peu de choses sont ressorties de ces multiples rencontres ; aucun changement de politique ne pointe à l’horizon et l’exacerbation de la crise en Europe est globalement passée sous silence.
La première « nouvelle potentielle » que l’on peut attendre de Bruxelles concerne la taxe sur les transactions financières. À l’issue du sommet de Rome, le ministre de l’économie allemand, Wolfgang Schäuble, a déclaré que dix États membres étaient désormais prêts à l’instaurer. Longtemps attendue, cette mesure serait un succès pour ceux qui réclament depuis vingt ans l’introduction de la taxe Tobin ; même si elle ne s’appliquait qu’à quelques pays, ne touchait que certaines activités spéculatives et pouvait être contournée par les stratégies de la finance, cette taxe marquerait un tournant décisif. Pour la première fois en cinq ans de crise, la politique porterait un « coup » à la finance. Nous n’assisterions plus seulement à la passivité des gouvernements qui, face à la spéculation, sauvent les banques privées avec l’argent public tandis que le budget des États est soumis à des contraintes inacceptables dans le but de réduire la dette. Nous pourrions voir les banques d’investissement perdre un peu de leur pouvoir et la spéculation diminuer. Malheureusement, l’Europe abandonne l’idée dune règle commune et se tourne vers une « initiative de coopération renforcée » entre quelques pays ; le R-U de David Cameron, le plus farouche opposant à la taxation de la finance, est tiré d’affaire. Ce Conseil européen nous dira si cette initiative sera réellement et rapidement mise en place.
La seconde « nouvelle potentielle » touche à la responsabilité collective des pays de la zone euro vis-à-vis de la dette publique – mais il est peu probable qu’une décision soit prise à ce sujet lors du sommet à Bruxelles. L’Italie, la France et l’Espagne ont (timidement) demandé à ce que les Fonds européens créés pour faire face à la crise – le FESF et le MES – achètent des titres aux pays fragilisés afin de faire retomber les taux d’intérêt ; la solidarité (et les euro-obligations) passent avant le transfert de souveraineté, a souligné François Hollande, le nouveau président socialiste. Mais la chancelière allemande, Angela Merkel, s’y oppose fermement : ce qu’il faut c’est une « union budgétaire » – plus stricte encore que le pacte budgétaire défini quelques mois plus tôt et toujours en attente de validation par le Parlement européen – qui s’apparenterait à un protectorat allemand sur la liberté des pays de la zone euro à gérer leurs dépenses ; les euro-obligations attendront encore. La vraie nouveauté vient de la « conversion » de Christine Lagarde, directrice générale du FMI. Elle a demandé à l’Europe d’instaurer sur-le-champ des euro-obligations ainsi qu’une « union budgétaire » et de faire en sorte que la Banque centrale européenne (BCE) achète ces titres, mettant un terme à la récession juste à temps pour soutenir la réélection de Barack Obama aux É-U en novembre prochain. Les dirigeants de l’UE risquent de rester dans l’impasse longtemps encore après le sommet de Bruxelles et Mario Draghi, le président indécis de la BCE, reste le seul a pouvoir agir. Il a jusqu’à présent sauvé les banques, refusé de soutenir les dettes publiques des pays en difficulté et inquiété le gouvernement allemand après avoir demandé une « union bancaire » permettant de contrôler les agissements trop risqués des banques. La confusion règne.
La troisième « nouvelle potentielle » – 130 milliards d’euros pour financer la croissance – est en fait infondée : nous ne savons pas d’où provient cet argent, où il ira, ni de quelle façon il pourrait bien mettre fin à la récession en Europe. Des actions modérées sur le capital de la Banque européenne d’investissement et un remaniement des fonds actuels de l’UE ne constituent en rien une nouveauté.
Les « véritables » nouvelles à la veille du sommet de l’UE sont bien plus sinistres. Les marchés financiers continuent à parier contre les gouvernements européens et témoignent de sombres perspectives économiques. Lundi, le gouvernement espagnol a officiellement demandé l’aide de l’UE pour refinancer ses banques privées. La Grèce ne fait plus les unes des journaux mais la crise – économique autant que politique – est loin d’être résolue, malgré le court répit que Bruxelles lui accordera peut-être en amendant le mémorandum imposé à Athènes. Et il y a le cas de Chypre ; cette petite île à l’Est de la Méditerranée, membre de la zone euro, est devenue un paradis financier pour les capitaux de Russie et du Moyen-Orient mais deux de ses banques sont à présent au bord de la faillite – leur déficit s’élève à 20% du PIB, selon Moody’s. Le premier ministre chypriote, un communiste lié à la Russie, a réclamé à Moscou un important prêt d’urgence et pourrait bientôt frapper à la porte de Bruxelles pour demander l’aide de l’UE. D’ailleurs, Chypre assurera la présidence tournante de l’Union à partir du 1er juillet 2012. La plus grande zone économique dirigée par un paradis financier en faillite : ce pourrait être un épilogue adéquat pour une Europe incapable de contrôler la finance et d’enrayer sa propre chute.
Pour remettre l’Europe sur la bonne voie, quatre thèmes clés, ignorés par les dirigeants européens, doivent être replacés au cœur du débat.
Le premier est relatif à la nécessité de maîtriser la finance. Ce sujet pourrait semer la discorde dans un contexte où la politique européenne évolue si vite. La spéculation implique des taux d’intérêts exorbitants sur la dette publique, la réduction des salaires et des prestations sociales ainsi qu’une récession permanente. Il est dans l’intérêt de tous (ou presque) – entreprises, travailleurs et forces politiques opposées à l’ultralibéralisme – de briser cette spirale grâce à un « consensus post-libéral » sur des mesures comme la limitation drastique des activités financières, l’instauration de la « règle Volcker » accompagnée du rétablissement d’une distinction stricte entre banques de dépôt et d’investissement, la restriction des opérations à haut risque et manquant de transparence (opérations hors cote, produits dérivés, etc.), la fin des paradis fiscaux ainsi que l’harmonisation fiscale en Europe. Tous les États membres « périphériques » bénéficieraient grandement de cette évolution et la France pourrait envisager de prendre la tête d’une telle alliance afin de modifier le cours de l’intégration européenne.
La seconde question se rapporte aux fuites de capitaux, un sujet exclu de tous les débats alors qu’il est à la source de l’exacerbation de la crise en Grèce, en Espagne et en Italie. Les traités de l’UE garantissent la libre circulation des capitaux mais les gouvernements ont depuis longtemps pris l’habitude de restreindre ce principe. Dans les pays fragilisés, les incertitudes concernant la sortie de l’euro ont poussé les entreprises et les riches à transférer leur argent sur des comptes en Suisse, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Luxembourg ou dans d’autres paradis fiscaux. Ceci a terriblement aggravé le déséquilibre de la balance des paiements en Europe, privant ainsi de ressources financières les pays qui en avaient justement le plus besoin pour restaurer leur capacité de production et leur compétitivité. Même le FMI a soulevé la question de la réduction des déséquilibres des flux de capitaux ; encourager le réinvestissement des capitaux dans l’économie dont ils sont issus semble être une politique adaptée si l’on veut aider l’Europe à sortir de la crise. Une politique fiscale harmonisée qui pénaliserait la fuite des capitaux et des contrôles administratifs pourraient également y contribuer. Ceci profiterait encore une fois à l’économie réelle de tous les pays tandis que les grandes entreprises et les riches seraient enfin soumis à quelques contraintes.
Le troisième thème est la récession en Europe. L’année 2012 sera témoin d’une baisse du PIB pour toute la zone Euro. Plusieurs pays sont confrontés à une chute importante de leur PIB, dont le niveau est désormais le même que dix ans auparavant, et même l’Allemagne, modèle de réussite grâce à l’exportation, commence à s’essouffler. Selon le dogme néolibéral repris à chaque sommet de l’UE, baisser les salaires et les dépenses publiques favorise la compétitivité, les exportations et la croissance ; en réalité, cela entraîne l’Europe vers une nouvelle grande dépression. Nous devons tirer la leçon des années 30 : il faut stimuler la demande, redistribuer les revenus et les richesses des clases aisées aux pauvres pour renverser cette inégalité sans précédent en Europe. Ce n’est pas qu’une question de quantité, c’est aussi une question de qualité. L’accroissement de la demande doit se faire au moyen de « bonnes » dépenses publiques comme la protection sociale, l’éducation ou les politiques sociales et environnementales. L’investissement et l’exportation doivent être encouragés lorsqu’ils contribuent à façonner une économie moins gourmande en énergie et en ressources qui permette une amélioration qualitative de l’emploi, des salaires et de la durabilité. Un « new deal » vert pourrait jouer un rôle important dans la sortie de la crise européenne. La redistribution des revenus est essentielle pour compléter les ressources de chaque citoyen et l’on pourrait envisager la création d’un revenu de base. Des mesures fiscales pourraient décourager la consommation débridée ; tout devrait être fait pour encourager un modèle de consommation plus modéré.
La quatrième question a trait à la politique. La crise en Europe a conduit à un effondrement de la démocratie. Des décisions ont été prises – trop peu, trop tardives, trop maladroites – à Berlin, à Bruxelles et à la BCE ; les gouvernements des autres pays de l’UE n’ont aucun poids, le Parlement européen n’as pas son mot à dire. Une polarisation est apparue avec d’un côté le pouvoir grandissant de l’Allemagne (et ses états satellites), dispensé de tout contrôle, contrepoids et responsabilité, et de l’autre côté une périphérie européenne fragmentée et en déclin. Dans ce contexte, toute tentative d’intégration accrue risque d’offrir plus de pouvoir à Berlin, ce dont Paris s’inquiète. La démocratie – entre et à l’intérieur des États et de l’ensemble européen – doit être le point de départ auquel nous devons revenir si nous voulons éviter que la crise économique ne devienne une crise politique majeure. Une plus grande pratique de la démocratie est le seul moyen d’éviter la perspective d’une Europe « pangermanique », d’une part, ou le retour illusoire du nationalisme, d’autre part.
Ces quatre questions cruciales pour la crise en Europe ne seront pas abordées par le Conseil européen le 28 juin à Bruxelles. Elles seront au cœur d’une réunion parallèle tenue le même jour à Bruxelles, au Parlement européen : le Forum « Another Road for Europe ». À l’initiative de trente organisations sociales à travers l’Europe, avec la coopération des groupes parlementaires des Verts et de la Gauche unitaire européenne, ce forum sera dédié aux alternatives face à la crise en Europe avec un débat organisé entre une cinquantaine d’économistes, de syndicalistes et de représentants de mouvements sociaux ainsi qu’une trentaine de membres du Parlement européen et d’hommes politiques de différents pays – socialistes, démocrates, verts ou de gauche. Après cinq sévères années de crise, un rassemblement de « l’autre Europe », susceptible d’indiquer des alternatives possibles au pouvoir de la finance et au néolibéralisme, pourrait bien être la meilleure nouvelle à attendre de Bruxelles ce 28 juin.
Le Forum sera diffusé en streaming sur internet. Retrouvez toutes les informations sur www.anotherroadforeurope.org
Mario Pianta est professeur de politique économique à l’Université d’Urbino et a travaillé à l’Institut universitaire européen, à la London School of Economics et à la Sorbonne. Il fait partie des fondateurs de Sbilanciamoci!, une coalition de cinquante groupes de la société civile qui travaille sur les alternatives économiques.