May 23, 2014
Les élections et tout ce qui suit
Niccolo Milanese
Traduit par Karine Ricou
Il ne fait aucun doute que le Parlement européen joue un rôle important et unique dans le système de démocratie européenne. L’argument stipulant que le Parlement n’est pas pertinent n’est plus crédible : depuis l’adoption du Traité de Lisbonne, le Parlement détient la codécision, avec le Conseil européen, sur la plupart des domaines d’élaboration de politiques européenne. De plus, dans certains domaines , le Parlement a joué un rôle unique dans la défense des droits des citoyens , là où aucun autre parlement dans le monde ne l’a fait : en ajoutant des clauses sur les droits fondamentaux, dans l’accord SWIFT avec les États-Unis, sur le partage des informations bancaires, puis en rejetant le Traité ACAC sur les droits de propriété intellectuelle, le Parlement a pris, dans sa dernière législature, des mesures qu’aucun Parlement national ne voulait prendre et qui a eu des conséquences mondiales. Dans d’autres domaines sous sa responsabilité, le dernier Parlement a été amèrement décevant : en acceptant un budget européen mal structuré par exemple, réduit pour la première fois dans l’histoire européenne, le Parlement a totalement échoué dans l’utilisation de son pouvoir à résister aux intérêts nationaux rivaux du Conseil pour le bénéfice du bien commun européen. Là encore, le Parlement n’a pas été non pertinent, il a simplement échoué dans l’utilisation de son pouvoir et une majorité différente pourra agir différemment à l’avenir.
Au-delà de la question de bien exercer ou pas ses pouvoirs formels existants, le Parlement sortant a échoué dans la protection de la démocratie au sein de l’Union européenne. Dans ce contexte de plus grande crise économique et sociale faisant face à l’Europe ces 60 dernières années, le Conseil européen – et plus particulièrement les responsables les plus puissants de gouvernement à ce Conseil – a pu dominer à la fois le programme public et législatif d’une façon qui a non seulement ébranlé le principe constitutionnel stipulant que la Commission devrait avoir le monopole sur l’initiative législative comme sur la garantie de l’intérêt commun européen, mais qui a mené à la réapparition de l’idée de concurrence entre les nations dans l’opinion publique européenne, et qui a mené à de mauvaises décisions politiques qui ont miné la confiance publique dans la politique et envers les politiciens en général.
Urgence Institutionnalisée : la nécessité d’un nouvel accord constitutionnel en commençant par le Parlement
En luttant contre la crise économique, les institutions européennes ont créé une structure qui est maintenant fortement antidémocratique, dans laquelle des décisions cruciales, concernant l’avenir économique des pays, sont prises en dehors de toute visibilité publique, et dans laquelle l’austérité et la tutelle des pays en déficit économique sont presque intégrées dans un système qui n’a aucun accord commun sur les budgets pour l’investissement ou les transferts fiscaux : une part de responsabilité d’une telle situation doit être attribuée au Parlement qui serait l’endroit naturel pour qu’une telle délibération ait lieu. C’est en ayant ceci à l’esprit qu’il n’est pas peu raisonnable pour quelques commentateurs de se plaindre du fait que dans ce contexte de « révolution venant d’en haut » le Parlement européen peut prétendre être l’institution élue de façon démocratique dans les structures européennes, mais en réalité il a agi comme une sorte de ‘ halo démocratique ‘ pour un système aux tendances profondément antidémocratiques. L’exigence d’un nouvel accord constitutionnel, qui met la démocratie au cœur de la prise de décisions européenne, doit être un impératif du nouveau Parlement pour rétablir sa crédibilité.
Les parlementaires européens peuvent rejeter la faute sur une Commission européenne fragile, mais le Parlement a aussi comme responsabilité de demander des comptes à la Commission, et il a, en effet, approuvé la nomination des Commissaires après les audiences d’examen. Cette fois-ci nous pouvons espérer que les relations entre le Parlement, la Commission et le Conseil seront légèrement différentes si un des “Spitzenkandidats” présentés par les groupements politiques pour la présidence de la Commission est nommé – mais après tout, les différents partis politiques auraient pu proposer des candidats comme à ces dernières élections s’ils avaient voulu, c’est juste que les Socialistes ont décidé de ne pas le faire pour respecter un accord avec le PPE stipulant que Martin Schulz deviendrait le Président du Parlement et que les Verts se sont présentés avec une liste ‘non à Barroso’ qui était vouée à l’échec en l’absence d’ autres candidats déclarés. Nous pouvons espérer et exiger que la publicité autour de la procédure évite cette fois les accords secrets qui saperont d’avantage la confiance publique envers les institutions.
La crise de confiance : l’Europe devrait être au premier rang du rétablissement de la confiance dans la politique
La question de la confiance envers les institutions est cruciale dans la conjecture historique actuelle et la façon dont elle est traitée par les leaders politiques façonnera l’époque à venir en Europe soit dans un sens démocratique soit dans un sens totalitaire. Les sondages d’Eurobaromètre publiés en avril 2013 montrent que la confiance envers les institutions européennes a chuté à un niveau historiquement bas : baisse de 57 % en 2007 à 31 % aujourd’hui. Ce qui attire systématiquement moins l’attention est que la confiance envers les gouvernements nationaux et les Parlements a systématiquement été plus basse que la confiance envers les institutions de l’Union européenne durant la dernière décennie et que maintenant 25 % font confiance aux Parlements nationaux, de 23 % aux gouvernements nationaux. Le taux de participation aux élections européennes de cette semaine sera sans doute historiquement bas, mais la tendance est la même aux élections nationales. Ce ne sont pas de nouvelles histoires sur les institutions européennes, mais une étape dans l’histoire de la démocratie en Europe d’une façon générale. Les statistiques peuvent même être lues de façon à suggérer que les institutions européennes sont mieux placées que les institutions nationales pour commencer à répondre à cette crise.
Il vaut mieux être prudent avec les statistiques sur la confiance envers les institutions. Le fait que les citoyens européens pourraient être critiques et méfiants envers les politiciens eux-mêmes est une bonne chose; et inévitablement, quand on interroge sur la confiance envers les institutions, certaines impressions sur les politiciens qui remplissent ces institutions fusent. Mais ces faibles niveaux de confiance sont clairement dangereux pour la survie des institutions elles-mêmes.
Pourquoi voter pour des institutions auxquelles vous ne faites pas confiance ? Les appels au devoir civique ou à « l’exercice de votre droit d’expression » des politiciens, des institutions et des associations sont susceptibles d’ être contre-productifs dans un tel contexte : premièrement ils n’apportent aucune réponse sur la question de la confiance et deuxièmement ils ne reconnaissent pas le fait que l’abstention peut aussi être un acte politique, particulièrement dans un système où les bulletins de vote nuls ne sont pas comptabilisés et qu’ « aucune de ces propositions » n’est pas une option. La réalité est que ces institutions ‘représentatives’ en Europe ne peuvent ignorer le non-vote de ceux qui ne se sentent pas suffisamment motivés pour participer le jour du scrutin, ou qui, pour leurs propres raisons, refusent de légitimer les institutions actuelles en donnant leur vote. Les études montrent à maintes reprises que les citoyens ne sont pas désintéressés de la politique et sont au contraire souvent très désireux de participer, mais les options de participation ne correspondent pas à la manière dont ils veulent participer. De plus, les citoyens exigent que la démocratie européenne ne soit pas réduite à un vote une fois tous les cinq ans, mais à un dialogue continu parmi les citoyens et ceux qui sont chargés de prendre les décisions.
Les crises de confiance envers les institutions politiques peuvent sans doute aller dans l’une des quatre grandes directions : vers une restauration ou une augmentation de la confiance envers les institutions à travers un changement institutionnel décisif ; vers le culte d’une personnalité qui vient pour dominer les institutions ; vers une réponse conservatrice qui se retire de ces institutions pour un arrangement supposé préférable à celui du passé (imaginé); ou vers un scénario révolutionnaire dans lequel les institutions sont renversées et où les nouveaux régimes de légitimité apparaissent. Le risque actuel est que les voix les plus audibles dans la politique européenne, pour le public, sont actuellement les conservateurs d’extrême droite qui appellent à un ancien ordre nostalgique, et, soit les partis principaux défendent le statu quo, soit, plus fréquemment, ils font des concessions avec la droite xénophobe. L’abstention dans un tel contexte – si elle reste ainsi et qu’elle ne mobilise pas d’autres sortes d’action démocratique – a tendance à encore plus amplifier la voix de l’extrême droite.
Ceux qui appellent à un changement radical dans le fonctionnement institutionnel de l’Union européenne afin de créer une nouvelle légitimité sont à peine audibles et c’est en partie parce qu’ils sont constamment reléguer à l’arrière plan par la domination de la pensée nationale parmi les partis principaux et l’extrême droite : la pensée nationale dans les partis principaux qui sont toujours structurés de façon à surtout chercher le pouvoir dans les contextes nationaux et à se plier aux leaders nationaux; la pensée nationale au sein de l’extrême droite dans le cadre de sa nostalgie xénophobe. (Il y a aussi un nationalisme fort dans les grands partis de l’extrême-gauche, qui est seulement moins destructeur parce que moins audible durant la conjecture actuelle).
Les communautés d’intérêt commun et de solidarité entre les gens grandissent en réalité dans toute l’Europe par des moyens qui sont en grande partie invisibles pour les partis politiques principaux et les médias traditionnels ; et la crise économique a accéléré ce processus, (tandis que l’histoire médiatique a presque toujours concerné la tendance inverse de la division). Ces communautés européennes d’intérêt commun n’ont pas de logiques nationales d’action et par conséquent, à l’heure actuelle, elles manquent en grande partie d’occasions de s’exprimer au sein des institutions existantes ou des partis principaux : pourtant ils sont le signe positif qu’est en train de naitre un nouveau monde, dont les nouvelles structures institutionnelles sont à la traîne.
Les Élections et Après
De cette situation nous pouvons tirer au moins quatre conclusions qui concernent les élections et l’action politique par la suite :
Premièrement, il est vital pour tous les décideurs européens de se rendre compte que les politiques actuelles d’austérité divisent l’Europe et sapent la confiance envers institutions et qu’il s’agit d’une condition nécessaire à la survie des institutions elles-mêmes si elles sont fondées sur la démocratie. Il doit y avoir une cassure très nette avec les décisions prises au cours des 5 dernières années qui ont semé la misère sociale et poussé les gens à parler d’une génération sacrifiée. C’est une question de politique en premier lieu et non une question de conception institutionnelle. Cependant, il est fort probable que, pour que de meilleures politiques, plus égales socialement et progressives, soient mises en place sur une base stable et démocratique partout en Europe (et pas comme « mesures d’urgence »), des changements constitutionnels doivent vraiment avoir lieu, premièrement pour permettre aux institutions européennes d’avoir de plus grands pouvoirs, et pour s’assurer que les décisions relatives à l’exercice de ces pouvoirs sont prises d’une façon qui garantisse la protection de l’intérêt commun européen.
Deuxièmement, le changement institutionnel est urgent afin d’assurer l’unité et la publicité de prise de décisions européenne. Ce changement institutionnel doit être fait de manière à renforcer la confiance publique, en intégrant le public, soit directement, soit par des organisations de la société civile pour décider de la façon dont cela devrait être fait. Le Parlement européen a, en particulier, la possibilité d’inventer un moyen de communication permanent avec les citoyens qui est propre à l’ère de l’Internet de l’engagement et du débat constant. Dans le débat sur le changement institutionnel il ne devrait y avoir aucune présomption en faveur de la restauration des pouvoirs aux Parlements nationaux comme moyen de résoudre ‘ le déficit démocratique ‘ : ni les sondages d’opinion publique ni le taux d’abstention aux élections parlementaires européennes n’indiquent sans équivoque que l’on doit aller vers des solutions ‘nationales’.
Troisièmement, une voix progressiste unifiée pour l’Europe doit apparaître, marquer une rupture avec les décisions des 5 ans passés et agir d’une façon authentiquement transnationale. La domination actuelle du PPE et du PSE dans la politique européenne et le fait que ces deux partis soient paralysés à un niveau européen par leurs partis puissants de membres nationaux, gêne l’apparition d’une subjectivité véritablement européenne qui peut entrainer et formuler les demandes uniques du public à l’échelle transeuropéenne.
Quatrièmement et comme conséquence de ce qui précède, les citoyens de l’Europe doivent considérer les élections européennes comme un rappel du fait que la politique est fondée sur leur volonté et que c’est ce qui donne du pouvoir aux citoyens. Ceci est l’héritage démocratique et républicain de l’Europe qui est profondément ancré dans la population. Que l’opinion soit exprimée soit par le vote aux élections soit par la mobilisation, l’initiative de construire de la solidarité ou par la recherche de solutions novatrices aux problèmes de la société les autres jours de l’année, les citoyens doivent prendre la responsabilité de la société dans laquelle ils vivent et agir pour la changer là où elle est inacceptable.