Jul 8, 2012
Du déficit démocratique vers un défaut démocratique?
Par Giandomenico Majone
Traduction: Elisa Sance
Cet article fait partie de la communication « Un mal pour un bien ? Ce que la crise de l’Euro nous apprend sur le déficit de démocratie et le futur de l’Europe post-nationale » présentée à la Conférence « Le Royaume-Uni dans l’économie européenne et l’économie européenne dans le monde », à l’occasion du Festival Transeuropa, à Londres le 19 mai 2012.
Les résultats des élections grecques du 6 mai 2012 l’ont confirmé, aujourd’hui, les bases de la légitimité démocratique au sein de la zone Euro ont déjà été réduites à un point de fuite où l’idée de l’Allemagne comme l’unique soi-disant sauveur potentiel de l’Euro émerge- une telle concentration de pouvoirs justifiée par le fait d’affirmer que la survie de « l’Europe » dépend de la survie de la monnaie commune.
Comme la chancelière allemande aime à le dire : “Wenn der Euro scheitert, scheitert Europa”, si l’Euro échoue, l’Europe échoue. Bien entendu, l’UE n’est pas synonyme de l’Europe, mais la chose importante à retenir est que l’UE est censée être une libre association d’Etats souverains jouissant des mêmes droits et devoirs, et étant unis par le principe d’une coopération loyale. En fait, la concentration du pouvoir décisionnel dans quelques mains seulement a atteint un tel niveau que les autres gouvernements nationaux sont de plus en plus inquiets. Dans le passé, «l’intergouvernementalisme » – processus par lequel l’Etat membre prédomine s’opposait au « supranationalisme » – processus par lequel les institutions européennes jouissent d’une autorité et d’une autonomie politique.
Aujourd’hui, les institutions supranationales – le Parlement Européen, la Commission, la Cour de Justice – semblent avoir perdu beaucoup de l’influence qu’elles avaient en particulier dans un passé récent ; Même l’intergouvernementalisme –d’abord réduit au dialogue Franco-Allemand, puis à l’Allemagne, monopolisant ainsi les débats sur le futur de la monnaie commune – a perdu son caractère collégial. Il n’est donc pas étonnant que les autres Etats membres ne soient pas satisfaits de telles évolutions.
Une indication récente de cette insatisfaction qui prédomine quant à l’évolution de la la gouvernance de l’UE a été la démission du président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker. Le premier ministre luxembourgeois – qui est devenu en janvier 2005 le premier président stable (c’est à dire non-tournant) du groupe des ministres de la finance de la zone euro – a démissionné en avril 2012 pour exprimer sa désapprobation sur le fait que toutes les décisions clés qui sont prises concernant la politique monétaire le sont dorénavant en dépit total de l’opinion collective de l’Eurogroupe. Il est vrai que de telles décisions doivent être prises en situation de crise, mais il est également vrai que les engagements les plus importants qui sont pris actuellement – comme l’obligation de respecter les strictes conditions budgétaires imposées par le pacte fiscal – ne concernent pas seulement le présent, mais également les futurs gouvernements ainsi que les générations futures.
En fait, le pacte fiscal est un traité international, souscrit par vingt-cinq Etats souverains, et en tant que tel il ne peut être modifié que par un accord unanime — ce qui est un obstacle important. C’est précisément pour cette raison que certains hommes politiques allemands ont soulevé le problème de la constitutionnalité du pacte.
Il y a déjà plusieurs années, certains participants officiels de longue date au projet d’UEM (Union Economique et Monétaire) déclaraient, en privé, qu’une forme de fédéralisme fiscal – i.e., une structure européenne plus fédérale avec des politiques redistributives centralisées de taxation, d’emprunt et de dépense – constituait une garantie sur le long terme, bien que cela était à ce moment là une idée publiquement tabou (K. McNamara 2006). Depuis le début de la crise des dettes souveraines, de telles voix se sont faites plus insistantes, et ont été ouvertement évoquées. Ainsi, Jacques Attali – président fondateur de la banque européenne pour la reconstruction et le développement et ancien conseiller du Président français Mitterand – croit que la seule solution possible à la présente crise requiert le courage politique d’implémenter un plan incluant la création d’un Ministère européen des Finances ; l’émission de bons du Trésor européens qui étalerait le paiement de la dette de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande ; et l’imposition d’une taxe sur la valeur ajoutée à l’échelle de l’Europe, qui permettrait de collecter les fonds nécessaires afin de rembourser la dette.
Dans les années 80, l’union monétaire avait été annoncée comme étant la voie royale vers l’union politique. Maintenant, une union politique plus étroite est considérée comme nécessaire pour sauver l’union monétaire : une bonne illustration du paradoxe de la queue qui fait remuer le chien.
Paradoxes mis à part, les défenseurs acharnés de l’UEM affirment que la présente crise de la dette peut être résolue uniquement en agrandissant le déficit démocratique de l’UE jusqu’au point où, vu l’état de l’opinion publique, il deviendrait politiquement inacceptable : un défaut de démocratie. Les résultats de l’élection grecque de mai 2012 apportent des preuves convaincantes de la gravité du risque.