« Personne ne veut voir ». Luttes pour le soutien au secteur culturel polonais

Par Alicja Borkowska, Tomasz Gromadka
Traduit par Maxence Salendre

Le secteur artistique et culturel polonais fait actuellement face à deux problèmes importants : un manque de soutien financier et l’incompétence des hommes responsables politiques, du gouvernement et des officiels locaux qui ne comprennent pas la spécificité de l’activité artistique. Des voix s’élèvent dans l’opinion publique pour réclamer que les artistes rejoignent l’économie de marché et cessent d’utiliser des fonds publics pour produire des films, spectacles ou de l’art vidéo que « personne ne veut voir ». Engagés dans une sorte de guerre idéologique, nombreux sont les hommes politiques à essayer d’influencer le travail artistique et notamment l’activité théâtrale. À Wa?brzych par exemple, les directeurs des théâtres de Legnica et de Bydgosczc doivent faire face aux attaques des cadres et hommes responsables politiques conservateurs. Après l’avant-première, le 9 Juin, d’une pièce sur le prêtre polonais renommé Jerzy Popie?uszko, les membres conservateurs de la mairie ont réclamé la démission du directeur du Théâtre Polonais de Bydgoszcz au motif qu’il aurait heurté la sensibilité religieuse de certains concitoyens. Au même moment, à Varsovie, des hommes responsables politiques utilisent leur pouvoir pour influencer le secteur culturel, bien souvent par des actions qui dépassent le cadre de la loi : absence de toute compétition pour l’obtention des postes de directeurs de théâtre ou encore nomination directe sans contrôle indépendant. Telles sont les conditions dans lesquelles les scènes de Varsovie (notamment les Théâtre du Studio, Dramatyczny et Powszechny) se trouvent en cette nouvelle saison.

Mais le problème principal du secteur culturel reste le manque de moyens financiers. Au lieu de concentrer ses efforts sur le secteur culturel, le gouvernement polonais dépense des milliards pour organiser le Championnat d’Europe de Football (Euro 2012). Près de 2 milliards d’euros ont déjà été dépensés pour la construction du stade national de Varsovie. À titre de comparaison, en 2012, Varsovie a dépensé 18 millions d’euros (77 millions de z?oty) pour financer les 19 théâtres de la capitale. Le budget culturel de Varsovie en 2012 était trois fois moins important que celui des années précédentes et les coupes décidées ont servies à couvrir les frais de l’Euro 2012 tels que les « Fan Zone » installées en centre-ville d’où le public peut assister à la retransmission en direct des matchs. À l’instar de Londres durant les Jeux Olympiques, un tel évènement sportif et la visibilité internationale qu’il entraînait au niveau national auraient pu être l’occasion de promouvoir Varsovie et de présenter les prestigieux spectacles artistiques Polonais. Mais cet attrait n’a pas dû convaincre les municipalités polonaises.

Les budgets des institutions culturelles diminuent et seules les plus importantes réussissent à garder la tête hors de l’eau. Les autres sont condamnées à travailler à perte ou à fermer. Le fonds régional qui supporte  soutient financièrement l’Opéra de chambre de Varsovie, une prestigieuse institution vieille de plus de 50 ans, a vu son budget réduit à tel point que sa survie n’est due qu’à l’organisation d’un concert de soutien par 130 artistes de l’Opéra devant le Ministère de l’Héritage Culturel. Cet évènement s’est converti en un symbole de la lutte du secteur culturel face à la crise financière des mois derniers.

Face à cette situation apparemment sans espoir, de nombreuses institutions culturelles tentent d’obtenir le soutien du troisième secteur. Grâce à l’aide de fondations ou d’associations, elles peuvent faire d’autres demandes de subventions publiques, nationales ou Européennes. Bien que les institutions à la renommée internationale luttent pour survivre, ce sont les plus petites institutions artistiques et culturelles qui souffrent le plus. Et elles finissent bien souvent par passer davantage de temps à remplir des formulaires de demande de subventions qu’à effectuer un véritable travail culturel ou de recherche artistique.

Les récentes mésaventures du projet de Musée d’Art Moderne de Varsovie sont particulièrement représentatives de l’attitude des institutions publiques quant aux projets culturels. En 2006, un projet prévoyait la construction d’un bâtiment innovant érigé en plein cœur du centre-ville, face au Palais de la Culture et des Sciences, afin d’accueillir le nouveau musée. À peine l’appel à projets remporté par le projet d’avant-garde de l’architecte Suisse Christian Kerez qu’une série de polémiques débutait. Des conseillers municipaux se sont élevés contre ce projet, des demandes de modifications ont été faites, des retards ont été accumulés jusqu’à ce que le contrat avec l’architecte soit annulé en mai dernier. Entre-temps, le musée a été temporairement ouvert en centre-ville dans un ancien magasin de vente de meubles, sans réelle stratégie de développement futur et sans aucune amélioration depuis étant donné que la municipalité n’a pas acheté les terrains nécessaires pour entamer la construction.

À ce décourageant tableau s’ajoutent les difficultés concernant deux des meilleurs directeurs de théâtres polonais reconnus sur la scène internationale : Krzysztof Warlikowski et Grzegorz Jarzyna. Les deux directeurs n’ont pas trouvé de scène pour présenter leur pièce car les coûts ont été considérés trop importants. Leurs dernières œuvres, financées par des théâtres français et allemands, ont été présentées dans toute l’Europe excepté en Pologne. Jarzyna se verra bientôt forcé de quitter l’institution où il travaille. La construction du nouveau théâtre de Warlikowski qui devait être à la fois un théâtre et un centre culturel dédié à la culture et à l’art contemporain n’a pas encore débuté alors qu’il aurait dû voir le jour depuis déjà deux ans. Le projet principal a été modifié plusieurs fois afin de réduire les coûts de construction. Les directeurs ont organisé un débat public dans l’espoir d’opérer un changement car ils aimeraient continuer à travailler en Pologne et à présenter leurs œuvres devant un public avant tout constitué de citoyens polonais.

Le secteur artistique et culturel polonais offre toutefois quelques aspects positifs notamment des audiences passionnées, des artistes et des militants prompts à se battre pour la défense de leurs droits. Une importante manifestation mêlant le public et des organisations de la société civile s’est tenue la saison dernière pendant le festival «Rencontres avec le Théâtre de Varsovie » qui vise à présenter les meilleurs spectacles de l’année. La manifestation était le fruit d’une initiative populaire pour protester contre les coupes budgétaires culturelles. La décision des dirigeants politiques de remplacer les directeurs de théâtre par des gestionnaires au motif que la culture « doit bien finir par rapporter de l’argent » faisait également partie des revendications (lire ici le texte de la pétition en anglais). Le principal slogan de la manifestation rappelait que « le théâtre n’est pas un produit ». Ce n’est en effet pas un produit commercialisable mais au contraire un bien commun auquel tout le monde devrait avoir accès et qui, dès lors, ne devrait pas être source de profits.

Les questions suivantes ont ainsi constitué le point de départ de la discussion tenue entre acteurs du secteur culturel : les secteurs culturels et artistiques doivent-ils être source de profits ? Est-ce une mauvaise idée en soi ? Est-ce possible ? Est-il possible de poursuivre la recherche artistique et culturelle indépendante tout en dégageant des profits ?

De nombreuses initiatives populaires ont été organisées par les institutions culturelles dans le passé. Toutes ont cherchées à apporter des solutions à des problèmes du secteur artistique et culturel, à entrer en contact avec le monde politique et à proposer des solutions  alternatives. Le mouvement civil Warsawscy Obywatele Kultury (les Citoyens Culturels de Varsovie) en est un exemple. Constitué d’environ 100 personnes venant de différentes associations culturelles de Varsovie, il souhaite apporter des réponses alternatives aux politiques culturelles actuelles. Le Programme pour le Développement de la Culture 2020, intitulé « la Ville de la culture et ses citoyens », en est le résultat. Il a été rédigé par des officiels de la municipalité, des experts et des professionnels collaborant ensemble en tant qu’équipe spéciale de consultants. Ce document, unique par son échelle nationale, a été créé en 2008 et, après de nombreuses discussions, a été adopté, en mars 2012, par le Conseil Municipal de Varsovie, ce qui lui confère le statut de décret municipal. Jusqu’à fin 2012 des propositions concrètes pourront être faites sur les thématiques suivantes : comment attirer davantage de Varsoviens dans les institutions culturelles ? Comment ouvrir l’accès à la culture aux habitants ? Comment développer et améliorer l’espace public ? Comment transformer les anciennes institutions culturelles et comment aider leur développement ? Comment soutenir les artistes varsoviens ? Comment dépenser, de manière adéquate, le budget culturel ? Comment rendre la ville plus attractive pour le tourisme ?

Plus récemment, des manifestations d’artistes visuels, de personnels des centres artistiques et des musées ont été organisées. Une de leurs réclamations concernait la loi sur l’âge légal de départ à la retraite et l’assurance maladie des professions artistiques et culturelles. Les artistes (issus de 80 institutions artistiques) ont été reçus par le ministre de la Culture et se sont entendues sur la mise en place d’une réflexion collective pour apporter des solutions à ces problèmes. Nombreuses sont les manifestations et initiatives culturelles organisées par ces artistes (en lien avec les représentants des organismes publics) qui visent à améliorer le secteur artistique et culturel polonais en transformant les schémas de pensée du gouvernement et des officiels. S’ils ne comprennent pas que l’Art est important, ils devraient au moins reconnaître son prestige et son importance promotionnelle. Dès lors, ils devraient reconnaître les artistes et autres opérateurs culturels comme détenteurs de véritables professions (et de fait leur accorder les bénéfices conséquents en termes d’assurance maladie et de retraite etc.) et non plus seulement voir l’Art comme un passe-temps pour ceux qui le crée.