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Le développement synonyme de liberté ? L’accident de Bhopal

(“Ruby a survecu au disastre”. Photo par Greenpeace International.)
Par Valeria Venturini
traduction de Maïwenn Kernaleguen

Aujourd’hui, les mots liberté, démocratie et développement ne semblent plus que des coquilles vides de sens. Trop souvent, nous parlons de bonne ou de mauvaise gouvernance en nous basant sur des concepts économiques plutôt que sur les droits de l’Homme. Amartya Sen, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 1998, écrit dans son livre Development as Freedom :

« Le développement est un processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les individus dans la sphère sociale et privée. Par conséquent, il exige la suppression des principaux facteurs qui s’opposent aux libertés, tels que la faim, la misère, la tyrannie, l’intolérance, la répression, l’illettrisme, le manque d’accès aux soins, la protection de l’environnement et la liberté d’expression, des facteurs qui limitent la capacité des hommes et des femmes à agir et à construire la vie qu’ils souhaitent avoir. »

Ces paroles ressemblent à un vade-mecum de la démocratie parfaite qui se trouve hélas relégué au second plan, bien après les critères économiques. Quand on regarde la croissance économique des « dragons asiatiques », peut-on vraiment parler d’exemples vertueux ? Ne faudrait-il pas encourager nos gouvernements à garantir les droits fondamentaux de leur population avant de parler véritablement de développement ? Dans le cas de l’Inde, les écarts au niveau des salaires ou des droits sont toujours considérables, en dépit du fort développement de ces vingt dernières années.Peut-on qualifier de « dragon » un pays qui est encore structuré par un système de castes, bien que cela soit illégal ? Ou bien un pays dans lequel une grande partie de la population n’a pas accès aux soins ? À ce sujet, en juin 2010, plusieurs médias sont revenus sur ce qui a constitué la plus grande catastrophe industrielle de l’histoire, celle de Bhopal, qui a eu lieu en 1984.

 L’incident est survenu dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984 : l’usine de pesticides Union Carbide India Limited (UCIL) a explosé, dégageant près de 40 tonnes d’isocyanate de méthyle dans l’atmosphère de la ville, telle une sorte de geyser toxique. Cette tragédie s’est produite parce que les managers ont décidé de couper le système de sécurité afin de faire des économies. L’explosion a fait 754 victimes mais Amnesty International a dénombré à ce jour plus de 25 000 personnes décédées des suites de la catastrophe ; sans parler de la contamination qui se poursuit toujours et des déformations génétiques dont souffre la population de Bhopal, et plus particulièrement les nouvelles générations. Le 7 juin 2010, huit employés indiens de l’usine ainsi que l’américain Warren Anderson, 81 ans et président de l’UCIL à l’époque des faits, ont été jugés coupables de la catastrophe.

Dans la région où s’est produite l’explosion, nombreux sont les cas de maladies affectant les yeux, les poumons, le foie, le dos, ainsi que les problèmes gastro-intestinaux et génitaux et les atteintes du système nerveux et immunitaire. On note également chez les individus de nombreux cas de fatigue intense ou de dépression qui peuvent aller jusqu’au coma, voire la mort. Par ailleurs, le problème environnemental est toujours immense : en 2004, la BBC a affirmé que le site en question pullule toujours de matériaux toxiques et que le simple fait de nager dans l’un de ses lacs pendant une dizaine de minutes peut provoquer des malaises. En expliquant que l’usine avait fait de son mieux pour aider les familles des victimes, les États-Unis ont défendu l’UCIL qui a effectivement donné près de 450 millions de dollars pour l’indemnisation des victimes ; mais en réalité, cette somme d’argent n’a pas été dépensée dans sa totalité pour les besoins de la population, créant ainsi le pire cas de corruption de l’histoire du pays.

Seulement 50 millions de dollars ont été investis dans la construction d’un hôpital à environ 22 km de la zone la plus touchée, mais seules quelques familles ont eu les moyens de dépenser 300 roupies pour s’y rendre en pousse-pousse. Peut-on vraiment parler de liberté et de développement ? Peut-être devrions-nous inventer de nouveaux mots, car il est devenu évident que les nôtres ne sont plus suffisants, ni crédibles.