Franziska Brantner: un service européen pour l'action extérieure

(Photo: European Parliament/ Flickr)

Franziska Brantner est députée européenne du groupe des Verts/ALE et membre de la commission des affaires étrangères et de la délégation des relations avec Israël. Elle a représenté le groupe des Verts/ALE durant les négociations pour le projet de loi sur le service européen pour l'action extérieure. Elle est également membre de la fondation Heinrich Böll.

Traduction de Maïwenn Kernaleguen Le 8 juillet dernier, le Parlement européen a approuvé un texte portant sur la formation du service européen pour l'action extérieure (SEAE), un nouveau service civil pour les affaires étrangères de l’Union Européenne, prévu par le traité de Lisbonne. Quelques jours auparavant, European Alternatives a eu un entretien avec l’eurodéputée Franziska Brantner, qui a participé, pour le groupe des Verts/ALE, aux négociations sur ce texte qui se sont déroulées au Parlement européen. Nous lui avons demandé quelles avaient été les priorités durant ces négociations et quels progrès avaient été réalisés, mais aussi de quelle façon il était possible d’améliorer la légitimité démocratique du service européen pour l'action extérieure et le rôle joué par la société civile.

European Alternatives : Le Parlement européen a mené des négociations avec le Conseil, la Commission et Catherine Ashton à propos du nouveau service européen pour l'action extérieure. Quelles ont été selon vous les priorités du Parlement européen dans ces négociations ? Maintenant qu’un accord a été trouvé sur les grandes lignes du nouveau SEAE, pensez-vous que le Parlement ait réussi à imposer ses priorités ? Franziska Brantner : Il était important d’impliquer le SEAE dans la « méthode communautaire ». Le plus important pour le Parlement était de s’assurer que le nouveau SEAE n’allait pas être hors du contrôle budgétaire communautaire. Le nouveau SEAE devrait avoir autant de responsabilité financière que la Commission Européenne. La première proposition examinée, présentée par Catherine Ashton, le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, n’était pas très claire sur le droit de décharge et sur la responsabilité budgétaire du service. La manière la plus simple de garantir la responsabilité budgétaire serait de l’intégrer à la Commission afin qu’elle dispose des mêmes moyens de contrôle que la Commission. Nous pourrions alors conserver les mêmes règles.

L’accord auquel nous sommes parvenus améliore le projet de proposition en garantissant la responsabilité de l’argent des contribuables. Notre autre priorité en termes de méthode communautaire était de nous assurer que les instruments financiers actuels (les instruments de développement et de stabilité, par exemple) restaient sous le contrôle de la Commission. Cela revêtait une importance particulière pour la communauté de développement, qui voulait que l’action de l’Union Européenne reste fortement centrée sur le développement et qu’elle ne soit pas subordonnée aux autres objectifs de la politique étrangère. Sur ce point, nous avons gagné dans une certaine mesure. En ce qui concerne les instruments de développement, c’est la Commission qui a eu le dernier mot, bien que la programmation soit en partie faite en conjonction avec le service pour l’action extérieure. Nous n’avons pas réussi à obtenir la même chose avec le fonds de stabilité et les autres instruments classiques de la politique étrangère. Une autre priorité du Parlement était d’introduire des questions substantielles dans les négociations ; c’était l’intérêt principal de mon propre groupe, les Verts. Les droits de l’Homme, la paix et la gestion des crises… le premier projet de proposition d’Ashton pour un nouveau SEAE ne faisait pas mention des « droits de l’Homme ». Aujourd'hui, nous avons réussi à obtenir un référant chargé des questions sur les droits de l’Homme dans chaque délégation (dans chaque ambassade de l’UE à l’étranger) ainsi qu’un siège, afin de nous assurer que les droits de l’Homme restent une priorité de premier ordre pour le SEAE. Nous sommes donc parvenus à obtenir beaucoup de choses sur la question des droits de l’Homme.

Nous souhaitions aussi que les structures pour la paix et la réconciliation de la Commission et du Conseil soient intégrées dans le nouveau service. Sur ce point, nous avons échoué car les États-nations imposent des restrictions aux structures de leur Conseil et insistent pour qu’elles fonctionnent selon leurs propres procédures. Certains États membres voulaient conserver leurs propres structures indépendantes au sein du SEAE et faire en sorte que la Commission leur soit subordonnée. Cela constitue le pire scénario possible – des États membres conservant leurs propres structures et subordonnant les ressources et le personnel de la Commission. Nous avons réussi à les maintenir sur un pied d’égalité, même si elles sont différentes. Malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à les intégrer de façon intelligente. Nous avons ici cédé à la pression des États membres.

La première proposition prévoyait un secrétaire général tout puissant à qui reviendraient les droits financiers, la programmation, les droits de représentation… il aurait été plus puissant qu’Ashton et c’est par lui que tout serait passé. Tout cela était inacceptable pour le Parlement. Si vous m’aviez demandé quelle place j’aurais préféré occuper, celle d’Ashton ou du secrétaire général, j’aurais toujours choisi celle du secrétaire général : il avait le contrôle financier, toute la programmation, ainsi que la représentation et il était celui par lequel tout devait passer. Il y a maintenant un directeur financier qui est responsable des finances et deux députés responsables de la coordination de l’équipe. C’est donc là encore une victoire du Parlement. Là où nous avons perdu, c’est sur la question de savoir qui représente Ashton quand elle ne peut pas être présente au Parlement, ce qui arrivera de temps en temps. Malheureusement, l’accord qui a été trouvé stipule que ce sera le Commissaire quand cela concerne les affaires de la Commission, et la présidence tournante quand cela concerne les affaires étrangères. C’est vraiment dommage car cela fait revenir la présidence tournante dans les affaires étrangères, alors que nous pensions nous en être débarrassés avec le traité de Lisbonne. Cela a été une façon pour les ministres des affaires étrangères nationaux de garder un pied dans la politique extérieure de l’Union Européenne. En résumé, je dirais que nous avons gagné d’importantes batailles et que nous en avons perdu d’autres, mais que nous avons finalement réussi à ouvrir de nombreuses portes utiles.

EA : J’aimerais avoir votre avis sur la priorité du développement dans l’action extérieure de l’Union Européenne. Il y a plusieurs mois de cela, Judith Sargentini a rédigé un article pour notre site Internet relatif à l’article 208 du traité de Lisbonne, affirmant que l’objectif majeur de la politique de développement de l’UE devrait être l’éradication de la pauvreté. Pensez-vous que cet objectif a été respecté dans l’accord sur le SEAE ?
FB : Il ressort de ces négociations que la politique de développement de l’UE reste sous la responsabilité du commissaire chargé du développement. Cela signifie qu’elle ne doit pas être subordonnée à d’autres priorités mais qu’elle doit rester au centre de nos préoccupations. Nous avons même réussi à obtenir une mention de l’article 208 dans le texte. Toutefois, je dois préciser que nous ne faisons pas seulement de la politique étrangère dans le but d’éradiquer la pauvreté : nous le faisons aussi pour promouvoir les droits de l’Homme, la démocratie et la paix. Ce sont là les trois grands domaines pour lesquels nous faisons de la politique étrangère. Il était important de s’assurer que l’éradication de la pauvreté n’était pas subordonnée aux préoccupations nationales, et la meilleure façon d’éviter cela était de faire en sorte qu’elle soit sous la responsabilité du Commissaire chargé du développement. Mais il était tout aussi important de mettre l’accent sur les deux autres domaines et, comme je l’ai dit plus haut, nous avons gagné sur ce point en obtenant la mise en place d’un référant chargé des droits de l’Homme dans chaque délégation, et il y a plus de travail à réaliser sur les objectifs de paix et de stabilité de l’action extérieure de l’UE.

EA : En tant que représentante au sein du Parlement européen, comment pensez-vous qu’il soit possible d’améliorer la légitimité démocratique de l’action extérieure de l’UE ?
FB : Le traité de Lisbonne n’a pas changé le pouvoir de décision de l’Union Européenne sur les questions de politique étrangère. Il l’a fait dans d’autres domaines, comme dans le budget de l’agriculture, mais la politique étrangère reste clairement une affaire intergouvernementale. Le Parlement a vraiment besoin de jouer un plus grand rôle dans les débats sur la politique étrangère européenne. Avez-vous déjà entendu quelqu’un débattre du succès ou de l’échec de nos missions au Congo ? Non. Qui était responsable du débat relatif à ces missions ? Personne. Cela ne se passe pas dans les parlements nationaux… Cela se passe au Parlement européen, mais personne ne s’y intéresse. C’est un domaine dans lequel il faut que le Parlement ait plus de pouvoir. Maintenant que le Parlement européen a un rôle a posteriori dans les débats sur la politique, peut-être qu’il aura bientôt le droit de débattre à l’avance des décisions politiques. Mais je crois qu’il est peut-être encore plus important d’abandonner la règle de l’unanimité des États membres dans le domaine de la politique étrangère.

EA : Selon vous, quel rôle devrait avoir la société civile dans l’action extérieure de l’Union Européenne ? La création du SEAE offre-t-elle à la société civile plus d’opportunités de participer à la construction de la politique étrangère de l’UE ?
FB : Je pense qu’il s’agit là de l’une des préoccupations majeures, avec la transparence et la responsabilité. Cela constitue surtout un problème quand on entre en relation avec des pays non démocratiques, car la seule source d’information est le gouvernement lui-même, et dans ces pays, la société civile ne peut pas prendre part aux négociations. Prenez l’exemple du Zimbabwe : bonne chance à la société civile qui veut avoir une influence sur la position de négociation de ce pays ! Nous avons essayé d’obtenir la mise en place de référants de la société civile dans chacune des délégations : il devrait y avoir quelqu’un dans les délégations qui soit responsable de la communication avec la société civile. C’était l’une des priorités du groupe des Verts au sein du Parlement européen. Malheureusement ils n’ont pas réussi. Avec les nouvelles règles établies par le traité de Lisbonne, le Parlement devra à présent approuver les traités internationaux dans lesquels l’UE s’est engagée. C’est une bataille qui se joue en ce moment entre le Parlement et la Commission. À quel moment la Commission doit-elle donner au Parlement les détails sur les traités afin que le Parlement puisse en débattre ? S’ils nous les donnent seulement à la fin des négociations, il est trop tard pour avoir une quelconque influence. Prenez l’exemple de la Libye, où j’ai entendu dire que nous nous livrons à quelques accords plutôt malhonnêtes afin de nous débarrasser de nos réfugiés.

La Commission a pris la décision ridicule de ne pas nous donner d’informations sur la base légale des négociations avec la Libye, et ce jusqu’à la fin du processus. Cela signifie que ce n’est qu’après coup qu’ils nous diront que nous avions le droit d’être impliqués depuis le début.