Echec et mat européen : la démocratie en joue

Traduction: Elisa Sance

La position d'Alternatives Européennes

“Il n'y a pas d'alternative” est une imposture couramment utilisée afin de balayer toute décision clairement partisane sur le plan économique. Rarement ce faux refrain n’aura semblé si convaincant pour une grande partie de la population, notamment lorsque les gouvernements d'Italie et de Grèce ont été mis devant le choix suivant :  obéissance ou banqueroute. Ce chantage est le résultat de la décision politique qui consiste à ne pas prendre de voie alternative, et à obéir à la 'logique' du marché. Mais d'autres solutions ont toujours existé, elles n'ont simplement pas été articulées, de manière assez forte  et de façon suffisamment claire.

En dépit des opinions concernant spécifiquement Monti et Papademos et leur gouvernement respectif, dans un concours où il ne peut y avoir qu'un gagnant, nous ne pouvons que rester très préoccupés par l'affaiblissement de la vie politique et démocratique en Europe. Que Monti soit une réponse opportune à la crise italienne ou non, les conditions de son investiture créent un très dangereux précédent : l'Italie est dans le viseur des marchés financiers, qui menacent de la plonger dans une situation de non-paiement.

Qu'il s'agissent des leaders de la France ou de l'Allemagne, du groupe de Francfort, ou des leaders économiques et du secteur bancaire qui profitent du système actuel, un groupe d'élites est parvenu à dérober le pouvoir des citoyens européens par une utilisation adroite de la crise économique, afin de détourner les institutions européennes ainsi que le processus d'intégration européen. Plus que jamais, ce processus apparaît aux yeux des citoyens et des hommes et femmes politiques des pays en dette, comme une camisole de force dans laquelle personne ne peut prendre de décisions allant contre l'inexorable logique économique.

Le faux-semblant de souveraineté nationale a été rompu. Les Etats-nations européens, dans leur tentative aveugle d'empêcher une évolution vers une union fédérale, dans l'intérêt de conserver le peu de souveraineté qu'il leur reste, ont fini par confier cette même souveraineté aux marchés financiers et aux élites non-responsables.Cela est évident dans la cas des pays dits «périphériques», mais cela semble aussi être le cas des Etats dits « noyaux », et en particulier de la France, capable de décider indépendamment de suivre les mêmes cures d'austérité que celles imposées aux pays du sud de l'Europe, mais qui est incapable de mettre en oeuvre un modèle alternatif pour contrer la menace de perdre le statut de « triple A » et du chaos financier qui en découlerait. La souveraineté pour les pays «noyaux » n’a lieu d’être que si elle est utilisée pour répondre ‘je serai ce que vous voulez que je sois ». Mais il n’y a pas de souveraineté véritable sans la possibilité de répondre et d’incarner un autre choix.

Fermer l'espace à des alternatives

Tout aussi préoccupante est la tentative de fermer sciemment tout espace à une alternative qui mûrit pourtant depuis l’année passée avec le printemps arabe, les manifestations pan-européennes des indignados, le mouvement Occupy, et le succès d'un discours condamnant l'inégalité et la règle des 1%.
Le fait que l'occupation du Zuccotti Park ait été stoppé par la police new-yorkaise le même jour que la nomination de Monti en tant que Premier Ministre en Italie n'est peut-être qu'une coïncidence. Mais c'est une coïncidence révélatrice, et qui met à jour la volonté de fermer physiquement tout espace à la critique du modèle économique et financier actuel ainsi et des réponses offertes jusque là à la crise.

Il y a un double danger dans une telle situation. D'un côté, le message envoyé à l'opinion publique est qu'il n'y a vraiment aucune alternative ni à l'austérité, ni à un démantèlement plus important du modèle social européen afin de payer pour les maux du secteur financier. Le bien des banques devient l'équivalent du bien du peuple, et toute politique divergeant des recommandations de la Banque Centrale Européenne ou du FMI est présentée comme impossible et immature. D'un autre côté, avec la quasi-totalité des partis politiques en Italie et en Grèce qui soutiennent leur nouveau gouvernement technocratique, les nombreux secteurs de la population résistants à une telle équivalence et qui restent convaincus que des politiques alternatives peuvent exister et sont viables, sont privés de représentation politique. Un fossé se creuse entre les parlements et de larges pans de l'opinion publique. “Ils ne nous représentent pas”, un des slogans des indignados, risque maintenant de devenir réalité pour une majorité de la population, avec un risque important pour le fonctionnement futur des démocraties nationales.

La lutte pour une démocratie européenne
L'importance centrale de la dimension européenne dans la prise de décision concernant notre futur devrait maintenant apparaître clairement. Mais il n'y aura pas d' occasion de reconquérir la capacité à choisir du cours de nos sociétés et d'ouvrir des espaces afin que des politiques alternatives émergent, si nous ne sommes pas capables de demander et d'obtenir une démocratisation radicale de l'espace européen, contre toute tentative de déléguer le pouvoir au consensus des élites ou des marchés. La bataille pour la démocratie doit donc avoir lieu au niveau européen : la vie politique doit véritablement devenir politique et démocratique, c’est à dire que les différents partis politiques et mouvements sociaux doivent offrir, de façon claire, des programmes politiques différents et avoir la capacité de les mettre en œuvre. Cela signifie un contrôle démocratique sur l'économie européenne.

Une plus grande harmonisation du processus de prise de décision en rapport avec les économies européennes est inévitable. De fait, ces décisions sont déjà en train d’être prises. Ce dont nous avons besoin, ce sont d'institutions officielles qui prennent les décisions au lieu de clubs informels, et de procédures démocratiques permettant aux citoyens de l'Europe de prendre eux-mêmes ces décisions.

Les institutions européennes et l'intégration européenne devraient précisément être les entités qui donnent aux gens le pouvoir de prendre des décisions.  Il est nécessaire d'avoir une vision sur le long terme : soit il s’agit d’une vision d'obéissance et d'austérité pour le plus grand nombre, soit c'est une vision de réappropriation du pouvoir dans laquelle les citoyens européens reprendraient le contrôle de l'économie et de leur futur commun. Alternatives Européennes a choisi la seconde de ces visions, un choix que l’on pense partagé par beaucoup de nos concitoyens.

Les semaines et les mois à venir seront une période d'essai cruciale pour jauger de la maturité des peuples d'Europe à se mobiliser et à réclamer la démocratie, l'égalité ainsi que des institutions transnationales capables de garantir les deux. C'est avec ces objectifs en vue qu'Alternatives Européennes appelle à un Congrès Européen pour le Changement, comme point de départ d'un processus d'émancipation politique qui va continuer tout au long de l'année 2012.