Camps d’étrangers en Europe : un accès largement entravé

Dans le cadre de son engagement continu pour défendre les droits des migrants, Alternatives Européennes a lancé en collaboration avec Migreurop et une coalition européenne d’organisations, la campagne européenne 'Open Access Now', qui réclame l’accès aux centres de détention pour les organisations de la société civile et les journalistes. 

L’objectif principal est d’informer les citoyens de ce qu’il se passe en leur nom en Europe, et de lancer un débat sur la manière dont l’Europe défend (ou ne défend pas) le respect des droits de l’homme, et de permettre un contrôle citoyen des lieux d’enfermement.

Du 26 mars au 26 avril 2012, les différents acteurs de la campagne dans plusieurs pays européens se sont mobilisés pour demander des visites effectuées par des journalistes et des organisations de la société civile dans des centres pour migrants. L’objectif était de tester les possibilités d'accès des organisations et des médias, mais également de récolter des informations relatives au fonctionnement des centres, et à l'exercice des droits des personnes détenues. Des parlementaires se sont joints à l’initiative. Voici les principaux résultats au niveau global et plus particulièrement en France.

Seize lieux d’enfermement visités en Europe, et plusieurs refus d’autoriser des visites

Seize lieux d’enfermement ont pu être visités en Bulgarie, Croatie, France, Italie, Mauritanie, Roumanie, Serbie. Aucune visite n’a été autorisée en Belgique, Espagne et Pologne. La campagne a mis en évidence la volonté des autorités d’encadrer, voire d’empêcher ce regard extérieur qui inquiète. En témoignent les motifs de refus d’accès invoqués, le plus souvent douteux et dérisoires.

En comparaison avec les visites organisées en 2009 et 2011 par le réseau Migreurop, on constate que la situation dans les camps d'étrangers est globalement inchangée : des conditions de détention qui font penser au système carcéral, et des atteintes aux droits fondamentaux (accès aux soins, demandes d’asile, assistance juridique, contrôle de la privation de liberté par un juge).

Les violences policières sont fréquemment rapportées. L’enfermement, qui peut
durer plusieurs mois (jusqu’à 18 mois d’après les directives européennes), met de fait les migrants dans une situation de détresse psychologique importante. Les sentiments de désorientation, de désespoir et de colère sont palpables.

En France, six centres visités mais l’accès refusé aux journalistes et militants associatifs

Par décret du 8 juillet 2011, le gouvernement français a encadré de manière restrictive et contraignante le « droit de visite » des associations aux lieux de rétention administrative pour étrangers. Ce décret étant contesté, les associations participant à la campagne n’ont été intégrées aux demandes de visites qu’en tant qu’accompagnants des parlementaires.

Les journalistes, quant à eux, ont fait leurs demandes de visites de manière autonome, ou en accompagnement des parlementaires. 48 journalistes se sont mobilisés en France durant la campagne, dont une trentaine uniquement pour Toulouse.

Aucun journaliste ou militant n’a pu entrer – hormis les militants appartenant aux associations déjà habilitées, dans le dispositif français, à intervenir dans les lieux d’enfermement.  Sur les neuf centres où des visites étaient prévues, seuls ceux où un parlementaire s’est rendu ont pu être visités (Centres de Rétention Administrative (CRA) de Vincennes, Strasbourg, Rennes, Toulouse, Bordeaux et la zone d’attente de Roissy)

Les raisons des refus sont multiples : l’administration s’est tantôt appuyée sur le code de procédure civile prévoyant uniquement l’accès des élus aux lieux d’enfermement, tantôt sur le devoir de réserve du personnel administratif pendant la période électorale. Certaines justifications apportant paraissant totalement ahurissantes : Au centre de Cornebarrieu, près de Toulouse, la raison invoquée a été celle du respects des personnes : « Si ces centres sont interdits, notamment aux journalistes, c’est lié au fait que ces retenus ne sont pas des animaux et que nous ne sommes pas dans un zoo» (lire l’intégralité de l’article de Sarah Bosquet , «Sans motif légal, les centres de rétention restent fermés aux journalistes » publié sur Libération.fr le 10 juillet 2012). Le dessinateur Jean-Benoît Meymeck a conçu une BD retraçant les actions et témoignages de la campagne Open Access pour le centre de Cornebarrieu (« CRA » sur le blog de Jean-Benoît Meymeck)

Les parlementaires nationaux et européens ayant effectué les visites ont témoigné des conditions de vie de ces lieux fermés. L’observation la plus récurrente concerne l’accès aux soins très limité des personnes maintenues. La majorité des visiteurs parlementaires s’accordent pour dénoncer une privation de liberté pour « des personnes qui n’ont commis aucun acte répréhensible et qui sont juste soupçonnées d’être en situation de séjour irrégulier », ce qui « ne peut pas être accepté dans la conception d’un pays démocratique »

Que deviennent ces personnes enfermées ? D’après la Cimade, 40% des personnes placées en rétention sont finalement libérées quand 35% sont expulsées. Marie Barbier, journaliste à l’Humanité participant à la campagne Open Access Now, souligne que « la majorité sont des sans-papiers qui ont été arrêtés dans la rue, alors qu’ils vivent ici depuis des années». En 2010, plus de 60 000 personnes sont passées par un des 26 CRA français (voir l’article de Sarah Bosquet, «Sans motif légal, les centres de rétention restent fermés aux journalistes » publié sur Libération.fr le 10 juillet 2012)

La mobilisation des parlementaires, médias et militants associatifs doit se poursuivre. La campagne « Open Access » est lancée, d’autres actions et visites seront organisées dans les prochains mois.

Aussi longtemps que ces lieux d’enfermement existent, il faut revendiquer un droit d’accès sans restriction des représentants de la société civile et des médias à ces lieux. Mettre fin à l’opacité qui les entoure est la seule façon de s’assurer que les droits fondamentaux n’y sont pas quotidiennement bafoués, que les garanties de procédures qui doivent normalement entourer toute privation de liberté ne sont pas systématiquement violées.

Pour en savoir plus :
– Site web de la campagne Open Access Now : www.openaccessnow.eu
– Communiqué de presse : « Campagnes de visites 2012 : Camps d’étrangers ? N’entrez pas, violation des droits ! » – 14 juin 2012
-Texte de campagne – Enfermement des migrants en Europe : On a le droit de savoir! – Signez l’appel sur le site de la campagne Open Access Now ici