Aug 13, 2012
Europe : Quelles alternatives aux mesures daustérité ?
Pourtant de nombreux économistes se sont mobilisés contre cette idée. Les mouvements de population partout dans le monde ont également refusé que cette doctrine ne soit présentée que comme l’unique forme d’organisation de la société.
Aujourd’hui quelles sont les alternatives réelles à l’austérité ? Comment modifier le système ? Quels sont les liens entre économie et démocratie aujourd’hui en Europe, et comment donner la voix aux citoyens dans le choix de leur futur ?
Ces questions ont été celles qui ont guidé l’après-midi du 13 mai 2012 dans le cadre du Festival Transeuropa. D’autres villes comme Londres, Bologne, et Sofia ont organisé des forums citoyens sur ces questions.
A Paris, des intervenants de partout en Europe, sont venus discuter des alternatives aux modes d’organisation actuels. L’objectif est de comprendre et d’évaluer comment elles peuvent être globalisées et étendues. Chaque personne aura sa voix pour participer à l’élaboration de propositions portées aux autres villes puis potentiellement transformées en actions transeuropéennes.
Après une session introductive menée par Pascal Franchet, vice-président du CADTM France, Antonella Corsani, Enseignant-chercheur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Niccolo Milanese, directeur d’Alternatives Européennes, quatre tables de discussion ont été proposées aux participants, trois portant sur une pratique économique alternative, et une quatrième sur l’organisation de la mobilisation sociale en Europe pour lutter contre la précarité.
Les systèmes d’échanges locaux en temps de crise
Banque du temps, échange d’expérience non monétaire, quels sont les systèmes d’échange locaux existants en Europe et comment sont-ils mis en place ? Les systèmes d’échanges locaux sont-ils une alternative en temps de crise? Ces systèmes peuvent-ils être étendus à plus grande échelle dans une économie globalisée ?
La discussion rassemblait des participants venus de plusieurs pays en Europe : Jonmar Van Vlijmen, Community Lover’s Guide Amsterdam ; Sanae Sad, Banque du temps de Barcelone, Espagne ; Daniel Herlaut, SEL de Paname, France ; et Iulia Badea Guéritée, journaliste roumaine de Presseurop, spécialiste de la Roumanie.
Dans la liste des diverses expériences évoquées, celle des caisses d’aide réciproque en Roumanie semble très intéressante. Ce système existe dans de nombreux pays. Il en existerait plus de 53 000 dans le monde et elles sont au cœur de l’année des coopératives, mise en place par les Nations Unies en 2012. En Roumanie, elles ont été développées sous Caucescu. Le système est coopératif, c’est une alternative aux banques classiques : aucun justificatif n’est a priori nécessaire pour y participer mais il faut avoir cotisé pendant une certaine période pour pouvoir ensuite emprunter. Le remboursement est obligatoire après quelques années. Les taux d’intérêts sont bas (entre 5 et 2%). Aujourd’hui en Roumanie il existe encore environ 4 000 caisses d’aide réciproque et environ ¼ de la population y a accès.
Une autre alternative en place en Roumanie est la caisse dite tsigane, le même système que la tontine, un système par lequel chaque membre d’un groupe dépose une somme chaque mois, et peut emprunter 12 fois la somme déposée mensuellement une fois par an.
En Roumanie, la mise en place de ces systèmes est facilitée par les lois sur les associations roumaines (1924) qui les exonère d’impôts.
L’expérience de la banque du temps à Barcelone – également présentée à Barcelone dans le cadre du Festival Transeuropa – est un système très différent puisqu’il ne repose pas sur l’épargne disponible mais sur des échanges non monétaires de services (langues, garde d’enfant, accompagnement des personnes âgées). Il existe 9 banques du temps à Barcelone, chacune avec ses spécificités. C’est un système qui repose sur la confiance et les échanges interpersonnels, qui recréent du lien social, en plus de permettre l’accès à des services qui seraient autrement hors de portée. Ces banques du temps sont soutenues par la mairie de Barcelone.
Les SEL sont au contraire une monnaie alternative, dont il existe plusieurs types également en France et en Europe. Il en existe 440 en France. La première a été créée dans l’Ariège en 1994 et le système s’est ensuite développé. Chaque personne dispose d’un chéquier ou/et d’un carnet d’échange qui permettent d’acheter des biens. Cette monnaie s’accompagne d’autres formes d’échange comme l’accès à des nuitées dans le cadre de la route des SEL ou du covoiturage. Ces initiatives de monnaie complémentaire, comme le LETS en Angleterre ont pour objectif de favoriser l’achat de biens durables (il n’y a pas d’intérêt à épargner les SEL puisqu’elle a un intérêt négatif, donc la valeur doit être reportée sur la chose acquise) et de valoriser des activités qui ne donnent ne sont pas marchandes.
L’expérience des Community Lovers Guide est une initiative intéressante qui peut permettre de naviguer au sein des projets locaux. Ces guides sont réalisés de manière bénévole et collaborative et mettent en avant des initiatives locales, créatives, durables qui bénéficient à la communauté. Le guide sur Amsterdam a été lancé dans le cadre du Festival Transeuropa à Amsterdam !
Les systèmes d’échanges locaux apparaissent comme une alternative temporaire notamment en temps de crise, alors que l’argent peut venir à manquer. Cependant, dans la plupart des cas, le fait qu’ils soient locaux n’en fait pas des systèmes alternatifs suffisamment développés ou forts pour remplacer les formes actuelles d’organisation de l’économie. Cependant, dans la perspective de repenser et reconstruire les formes d’échanges entre humains et l’organisation de la consommation, il semble qu’il soit utile (voire nécessaire) de s’en inspirer.
Revenu universel ou revenu maximum ?
Simon Cottin Marx, du Collectif POURS et Stanislas Jourdan, journaliste et membre du Réseau français pour un revenu de base inconditionnel sont devenus discuter des bénéfices liés à l’instauration d’un revenu de base.
La première question abordée a été celle de la difficulté de s’accorder sur une définition unique. En français, les définitions tels que « revenu d'existence »« revenu de base »« revenu de citoyenneté » « revenu minimum » révèlent chacune des nuances inévitables en termes d’approche politique mais aussi de relation entre individus et travail. Une définition alternative et très perçante de «revenu d’autonomie » a aussi été proposée par Antonella Corsani. C’est surtout sur la question du pourquoi que les différences d’approche se caractérisent.
La deuxième question portait l’accent sur « comment peut-on mettre ce système en pratique ?» Simon Cottin Marx a souligné l’importance de garantir la justice sociale, grâce à un système d’autofinancement axé sur l’imposition d’un revenu maximum et guidé par le principe de redistribution de la richesse. En outre, Stanislas Jourdan a soulevé l’hypothèse du financement de ce système par la création de monnaie, et a insisté sur la valeur ajoutée que le rassemblement de personnes aux idées politiques différentes pourrait sans doute apporter au projet.
Le débat a particulièrement été dynamique lorsque la possibilité d’établir un montant de revenu universel commun à toute les pays d’Europe a été envisagée…que se passerait-il ? Cela nécessiterait de rendre formel un véritable un réseau Européen commun pour une action concrète de promotion du revenu de base.
Stanislas a ainsi parlé du projet d’Initiative Citoyenne Européenne sur le Revenu de Base Inconditionnel qui est porté par plusieurs partenaires européens dont Alternatives Européennes. En effet, depuis le 1er avril 2012, la Commission Européenne a autorisé que des initiatives «grassroots » soient proposées à la Commission Européenne, à condition qu’un million de citoyens de l’UE (qui soient ressortissants d’au moins 7 Etats-membres) signent le texte de l’initiative une fois que cette dernière ait été validée par la Commission.
Après un meeting qui a récemment eu lieu à Bruxelles, le texte définitif de cette Initiative a été validé à Paris lors d’une rencontre de tous les participants européens de la campagne les 7 et 8 juillet derniers (voir compte rendu ici). Une fois l’initiative autorisé par la Commission, l’étape suivante sera la collecte du million de signatures nécessaires parce-que le document soit présenté à la Commission Européenne…
Pour en savoir plus:
http://binews.org/
http://pourunrevenusocial.org/
http://www.revenudebase.info/ (work in progress)
Villes en Transition ?
Comment relocaliser l’économie et favoriser la transformation pour passer d’une économie «dépendante » à une économie « libérée » ? Comment favoriser les liens entre les habitants et les acteurs économiques locaux ? Comment créer un groupe local dans son quartier, sa ville, sa commune ? Antoine Lagneau est venu expliquer ce qu’est la démarche « en transition».
Retrouvez plus d’informations sur le blog de Quartiers en transition (www.quartiersentransition.wordpress.com)
Mouvements transnationaux de lutte contre la précarité en Europe
Comment se caractérise la précarité dans les différentes sociétés européennes touchées ? Quel est la situation actuelle des mouvements sociaux de contestation ? Comment ces mouvements peuvent-ils s’organiser de manière transnationale ?
Plusieurs militants européens étaient présents pour livrer leur analyse de la montée actuelle de la précarité en Europe, dans divers domaines comme la santé, l’éducation ou encore le marché du travail : Viola Caon, journaliste, Grande Bretagne/Italie, Meritxell Parera Saborit, du mouvement des indignés, Espagne et Iulia Sandor, GAS, Roumanie.
Iulia Sandor a souligné qu’en Roumanie, c’est une réforme dans le domaine de la santé, visant à privatiser l’accès aux services des urgences, qui a déclenché une vague de protestations sociales dans tout le pays. On estime que ce soulèvement a été le plus important depuis la chute du communisme, avec des manifestations qui ont duré dans certains endroits du pays pendant 6 mois. Ainsi, la montée de la précarité est observable dans la santé, mais également dans l’éducation et le marché du travail. Plusieurs mesures ont récemment flexibilisé le droit du travail en défaveur de l’employé, qui par exemple peut se faire licencier sous des conditions plus souples.
Autre question posée : la question de la précarité doit-elle être se focaliser en premier lieu sur la situation des jeunes, qu’ils soient étudiants ou travailleurs?
Cette question de la précarité des jeunes recouvre celle de la place et de la considération dont ils bénéficient dans les sociétés européennes. Très souvent, l’inexpérience des jeunes est mise en avant, ce qui explique le manque de crédibilité dont souffrent les jeunes aujourd’hui, qui peut être un frein important à l’accession à une situation socio-économique stable. Il est important de rappeler cependant que les jeunes ne constituent pas l’unique public touché par la crise économique et la montée de la précarité en Europe.
En Espagne, le premier facteur dénoncé – en particulier dans la situation de précarité des jeunes, c’est l’inadéquation du système éducatif qui n’est pas adapté au marché du travail. Le débat a porté sur la nécessité ou non d’instaurer de véritables standards européens communs pour les diplômes. Cette réforme a déjà été initié au niveau européen avec le processus de Bologne, et malgré les vives critiques dont ce dernier fait l'objet – jugé notamment responsable de l’appauvrissement du niveau de qualification des diplômes- il est important d’œuvrer pour une harmonisation des diplômes dans une logique réellement « qualitative » qui permette une mobilité effective et une reconnaissance des diplômes dans les carrières de jeunes travailleurs disposant de diplômes étrangers.
La discussion a porté sur la notion de « précariat » selon laquelle le phénomène de précarisation croissante formalise l’ensemble des travailleurs précaires en tant que classe sociale, que l’on pourrait nommer « precariat » (voir interview de Guy Standing ici sur cette question). En France, on a vu que les mouvements de protestation comme Occupy la Défense n’ont pas été suivis de manière dynamique. En Italie, il existe plusieurs mouvements de jeunes mais la mobilisation générale est marquée par un manque d’organisation.
Ce qui pose la question de la structuration des mouvements de protestation. Par exemple, il a été souvent reproché à ces mouvements de privilégier une organisation horizontale du mouvement plutôt qu’une structuration du mouvement autour de leaders identifiés et légitimes. Plus globalement, ces mouvements ont été questionnés sur leur nature, leur finalité, leurs valeurs.
En Espagne, le mouvements Indignados n’est pas un mouvement politique. Meritxell Parera Saborit, membre des Indignados, a rappelé que ce mouvement ne s’inscrivait en opposition au gouvernement et au pouvoir politique, mais en opposition aux marchés financiers et à la financiarisation du système économique actuel.
En Roumanie, la contestation citoyenne porte davantage sur le renversement de la tendance à la privatisation des services publics, comme en témoigne la vague nationale de protestations suite à la volonté de privatiser l’accès aux services des urgences, qui jusque-là était gratuit.
Autre aspect discuté dans la question des mouvements sociaux de lutte contre la précarité en Europe : leur traitement par les médias. Parfois les médias ont eu tendance à minimiser l’ampleur des mouvements sociaux, ou n’ont pas su apporter une information véritablement alternative, qui laisse plus de place aux propositions et aux revendications des mouvements sociaux. La discussion a porté ainsi sur la nécessité de mettre en place des médias alternatifs.
Le débat s’est dirigé ensuite sur cette question de créer des structures alternatives qui soient gérées par des jeunes, comme des coopératives ou des commerces dans le domaine de l’économie sociale.