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Détenus en perdition

Alternatives Européennes, conjointement avec Migreurop, dirige la campagneOpen Access Now, demandant à ce que la société civile et les journalistes obtiennent un libre accès aux centres de détention européens. Nous avons reçu un article de la journaliste d’investigation Clara Sanchiz, que nous sommes fiers de publier. Il nous livre un récit révoltant sur les centres espagnols de détention des migrants.

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Manifestation publique devant le centre de détention de Barcelone, suite au décès d’un détenu en janvier 2012. (Albert García/DIAGONAL)

Article par Clara Sanchiz
Traduction par Adeline Monnin

« L’injustice, la violence… on peut les expliquer. Mais pas l’horreur que j’ai vécue. » (Un détenu)

La police est venue jusqu’au bureau de Paula, demandant à la voir. Son ex-employeuse, une femme souffrant de troubles bipolaires, a porté plainte contre elle : Paula lui aurait dérobé des objets de valeur. Comme elle n’avait rien à se reprocher, Paula s’est présentée au poste de police pour clarifier la situation. Les policiers l’ont arrêtée dès son identification parce que ses papiers n’étaient pas en règle. Pendant la nuit, elle fut conduite au centre de détention d’Aluche pour les immigrés, à Madrid. Elle eut le droit de noter deux numéros de téléphone à partir de son portable avant d’entrer dans les locaux. Les rares affaires en sa possession lui furent confisquées, puis on lui donna un matelas et une couverture, pour dormir sur le sol.

Voilà ce que Paula (il s’agit d’un nom d’emprunt), originaire de Bolivie, a raconté aux religieuses trinitaires pour lesquelles elle a travaillé à Madrid. Elle a été incarcérée pour avoir commis une faute administrative. En Espagne, les centres de détention pour les immigrés sont des institutions de l’État servant à placer en garde à vue les étrangers dont les papiers ne sont pas en règle et qui ne peuvent donc pas rester dans le pays, et également des ressortissants légaux contre lesquels un processus d’expulsion a été institué. On ne peut entrer dans le centre que suite à une décision émanant d’un tribunal et la détention ne peut pas dépasser 60 jours. Au départ, dans le cadre juridique espagnol, les centres de détention ne sont pas considérés comme des institutions pénitentiaires mais plutôt comme ces cellules en plus pour la police. Personne ne sait réellement combien de détenus transitent dans ces centres, ce qui démontre à quel point les informations officielles sont rares à ce sujet.

« Nous sommes traités comme des criminels, il vaut mieux être en prison qu’ici. »

L’ombudsman (médiateur de la République), quelques juges ainsi que beaucoup d’ONG ont dénoncé ces centres qui violent les droits fondamentaux des immigrés. LaCommission espagnole d’aide aux réfugiés (ses initiales espagnoles sont CEAR) a été autorisée à examiner les centres de plus près et a donc eu accès à trois de ces endroits. Elle a ensuite établi un rapport témoignant de la torture et des mauvais traitements infligés aux détenus. « J’ai été enfermé en cellule d’isolement parce que j’avais demandé à voir un docteur. Personne ne m’a écouté : ma jambe s’était infectée et au final, je suis resté à l’hôpital pendant six jours » déclara un détenu algérien à l’organisation, dans les locaux de Valence.

D’après les ONG, refuser l’accès à une assistance médicale constitue un problème récurrent. En janvier, un jeune Guinéen est décédé au centre de Zona Franca, basé à Barcelone : le rapport médico-légal a établi qu’il avait subi un infarctus du myocarde. Les détenus de Zona Franca affirment qu’il avait éprouvé des difficultés à respirer et qu’on lui avait refusé toute assistance quelques minutes avant sa mort. Les policiers quant à eux insistent sur le fait qu’ils l’ont aidé dès le départ. En décembre 2011, une femme originaire du Congo et détenue au centre d’Aluche est décédée à l’hôpital à cause d’une méningite qui n’avait pas été diagnostiquée. Elle a eu le droit d’aller à l’hôpital six heures et demie avant son décès.

Les violences psychologiques et physiques ne sont pas rares dans les centres et sont particulièrement fréquentes lors des transferts à l’aéroport, où les immigrés sont expulsés par avion. La CEAR révèle également le témoignage d’un détenu équatorien à Madrid, qui a été amené au centre parce qu’il avait refusé de monter dans l’avion avant d’avoir appelé sa femme et récupéré ses affaires. Cet après-midi-là, un officier de police l’a emmené à la laverie. « Calmement, il a enfilé des gants bleus, a fermé la porte et a commencé à me frapper sauvagement le visage, le corps, il m’a mis des coups de pieds… Je me suis recroquevillé sur le sol pour essayer de me protéger et c’est là qu’il m’a cassé le bras d’un coup de pied » a expliqué le détenu. Selon lui, le policier lui a dit « Je veux que tu ailles voir tes copains et que tu leur racontes. On verra qui sera le prochain à refuser de voyager […]. J’ai 16 jours pour te renvoyer et je le ferai, que tu sois vivant ou non ».

La loi internationale définit la torture comme étant tout acte commis par une personne agissant à titre officiel, infligeant une douleur ou des souffrances aiguës, physiquement ou psychologiquement, dans le but d’obtenir des informations, d’intimider, de faire pression, de punir, ou encore comme mesure préventive et autres raisons. Cette définition n’inclut pas les douleurs ou la souffrance étant la conséquence de sanctions juridiques. « Pour nous, être emprisonné 60 jours alors que l’on n’a pas commis de crime équivaut à de la torture » déclare Xavi Torregrosa, porte-parole pour la campagne CIE’s No, qui rassemble plusieurs ONG et milite pour la fermeture des centres de détention espagnols. L’effet criminalisant du système de détention pour les immigrés est au cœur même de ce que ces organisations veulent combattre.

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Le centre de détention d’Aluche pour les immigrés, à Madrid. (Diego González/DIAGONAL)

« L’angoisse vient de l’incertitude : je ne sais pas ce qu’il va m’arriver, parce que personne ne veut me le dire. »

Ce manque d’information quant à leur situation constitue une autre violation notable des droits fondamentaux des détenus. Pour Daniel Izuzquiza, de l’organisation Pueblos Unidos qui travaille sur ce sujet, les « informations sont insuffisantes. Il s’agit d’une des plaintes qui revient le plus souvent, presque systématiquement. Dans toute communication, il y a des éléments subjectifs et objectifs mais ici, on ne se soucie ni de la langue, ni de la communication écrite ou encore des spécificités juridiques, etc. ».

Théoriquement, les centres sont tenus d’informer les détenus de leur droit à faire une demande d’asile. En pratique cependant, on décourage certains fonctionnaires de le faire : « Ce n’est pas seulement à propos du formulaire d’informations. On me dit de ne pas les informer du droit d’asile, parce que certains en abusent. Ne pas les en informer figure dans nos instructions. Je sais que je devrais en parler à tout le monde, surtout ceux qui viennent par bateau, mais on nous l’interdit dès que nous arrivons ici » a expliqué au CEAR un employé du centre de Malaga.

« Désormais, je n’ai plus envie d’obtenir la nationalité espagnole : ils pensent qu’ils sont meilleurs que tout le monde. Ils vous traitent avec mépris, comme si vous étiez inférieur. J’ai grandi et vieilli ici. Et maintenant ? »

La dernière réforme de la loi espagnole sur les étrangers date d’il y a trois ans et l’élaboration d’un ensemble de règles communes relatives aux centres de détention pour les immigrés est restée en suspens depuis. En faisant beaucoup de manières, le gouvernement espagnol a dressé la première version d’une éventuelle nouvelle réglementation pour le mois de juin à venir. Il propose une modification structurelle des centres, qui nécessiteraient la présence de policiers uniquement pour la sécurité extérieure. De plus, des ONG s’occuperaient de tout le travail social interne. Cependant, Daniel Izuzquiza remarque que « cela ne correspond pas à une possibilité réelle » ; en effet, ces idées ne font pas écho à ce qui figure dans l’ébauche. Son association refusera toute offre de travail social dans des centres où elle sera aux ordres de la police. D’autre part, la campagne CIE’s No n’envisage même pas cette réglementation : « La seule chose que l’État espagnol puisse faire avec les centres de détention, c’est de les fermer. On ne peut pas réglementer quelque chose d’illégal. Nous ne contribuerons pas au maintien de ces centres » affirme Xavi Torregrosa.

Pour d’autres experts, cette fermeture est improbable. « Nous avons étudié 80 États et seuls un ou deux d’entre eux ont envisagé de fermer ces centres, ou ne serait-ce que de leur imposer des limites » explique Michael Flynn, fondateur du Global Detention Project, un projet de recherche enquêtant sur le rôle de la détention, partout dans le monde. Lorsque l’on a demandé à Flynn si les violations auxquelles se livre l’Espagne sont aussi commises ailleurs, il a affirmé qu’elles sont répandues et endémiques dans tous les pays étudiés.

Chaque pays de l’Union européenne détient des immigrés ; 21 États membres fournissent la possibilité d’imposer des alternatives à la détention. Néanmoins, selon l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, aucune de ces alternatives n’implique une libération sans réserve et elles ne sont appliquées qu’exceptionnellement, en priorité pour les immigrés les plus vulnérables. De plus, neuf États membres n’ont pas fixé de longueur maximale pour la détention. Dans les pays suivants : Suède, Finlande, Estonie, Lituanie, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni, Malte et Chypre, les détenus peuvent être emprisonnés indéfiniment, ce qui remet en question le but de la détention. Ce procédé a été maintenu en dépit de la directive « retour » de l’UE, selon laquelle « toute période de détention doit être aussi courte que possible ».

« Vous ne savez jamais s’ils vont venir en plein milieu de la nuit et vous expulser dans votre pays… ils ne vous préviennent pas à l’avance… vous partez avec les vêtements que vous portez, même si vous êtes en short, sans vos affaires, au milieu des cris qu’on vous adresse… »

Paula en est à son 34ème jour de détention. Son numéro résonne dans les haut-parleurs : son avis d’expulsion est arrivé au centre. On la fait s’asseoir ; elle n’a quasiment pas le temps de lire l’avis. Elle le signe et demande si elle peut contacter son avocat, qui se préparait déjà à faire appel contre la détention. La police lui dit que c’est impossible.

Le lendemain, pendant l’heure du repas de midi, son numéro est à nouveau appelé. Paula est menottée et on la fait monter dans un van avec trois autres Boliviens. Alors qu’elle observe leurs regards découragés, elle entend les remarques des policiers qui se tiennent non loin : « Vous êtes le fléau de notre société. Vous méritez qu’on vous renvoie dans votre pays, attachés comme des bêtes ».

Toutes les citations des détenus proviennent du rapport établi par le CEAR, « Situación de los centros de internamiento de extranjeros en España », publié en 2009. Vous pouvez lire l’histoire de Paula sur le site des religieuses trinitaires :
www.hermanastrinitarias.net