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Les étudiants européens de plus en plus unis

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photo flickr

Article d’Alessandro Valera 
Traduction d’Alexis Gratpenche

Partout en Europe, on a pu voir des manifestations, des occupations et d’autres formes de lutte encore : au Royaume-Uni, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne, en Slovénie, en Bulgarie, en Roumanie ou en Irlande. Tous ces mouvements sont composés d’étudiants en lutte contre leurs gouvernements respectifs qui veulent réduire drastiquement le budget de l’enseignement et augmenter les frais de scolarité. Contrairement à certaines autres mobilisations, telles les mouvements pacifistes ou les campagnes d’action contre la pauvreté, les mobilisations de ces derniers mois n’ont pas connu de réelle coordination des étudiants au niveau européen, bien qu’ils aient des revendications très similaires. Les étudiants européens se mobilisent autour d’une même inquiétude ; ils craignent tous que l’enseignement cesse d’être un droit universel pour devenir un luxe inaccessible. Malgré cela, la contestation en Europe est fragmentée et ne tient qu’aux dynamiques nationales.

Ironiquement, cette génération de l’après Maastricht, constituée de jeunes qui ont en grande partie reçu leur premier argent de poche en euros, ne parvient pas encore à lutter efficacement dans un véritable cadre transnational. Etant donné que les décisions en matière de budget et de réforme de l’enseignement reviennent encore aux Etats-membres de l’Union européenne (et parfois même à leurs régions), il semble logique que les contestations et les manifestations étudiantes soient organisées au niveau national. Cependant, les syndicats étudiants nationaux et les groupes locaux ont la possibilité de coordonner leur lutte commune à un niveau supérieur. Les étudiants et leurs représentants pourraient ainsi partager leurs bonnes pratiques, qu’il s’agisse de structurer des organisations ou de mener des actions qui aboutissent à la satisfaction de leurs revendications. Ils seraient alors en mesure de débattre de questions précises. Le mouvement contre la guerre en Iraq de 2003 en est l’illustration. Tout comme l’enseignement, la politique étrangère reste le pré carré des nations dans l’Union européenne ; mais cela n’a pas empêché les étudiants réunis lors du Forum social européen de Florence de s’accorder sur un point : organiser à la même date une manifestation pacifiste. Le reste de la planète s’est joint à cette initiative et ainsi, pour la toute première fois, une manifestation mondiale s’est déroulée. La guerre a malgré tout éclaté mais le refus de nombreux Etats européens de faire partie de la coalition peut être imputé en partie à cette mobilisation citoyenne sans précédent.

Il ne faut pas oublier non plus que les coupes budgétaires en matière d’enseignement font partie intégrante d’un consensus européen, que les Etats-membres ont soutenu et défendu au Conseil européen et même dans une certaine mesure à la Commission européenne, et qui vise à réduire les déficits et à prendre des mesures d’austérité. Le combat contre l’idéologie du tout-économique qui nous enseigne que “nous ne pouvons pas faire autrement” est primordial lorsqu’on veut démontrer qu’il est possible de concevoir et d’organiser différemment l’enseignement et la recherche. D’autant plus que seules des alternatives de fond sont capables de remettre en cause les consensus européens.

Voilà pourquoi nous militons pour que les étudiants européens et les collectifs qui mènent les mêmes combats s’unissent et se coordonnent. Le sommet étudiant de Paris que le réseau Edufactory a convoqué en février est un premier pas encourageant (article en italien). Pour notre part, nous avons commencé par demander à six étudiants européens de nous parler de leurs principaux espoirs et des obstacles qui freinent la collaboration étudiante en Europe.

Vous êtes étudiant dans un pays qui n’est pas cité ci-dessous et vous souhaitez répondre à ces questions, contactez-nous et nous publierons vos réponses.  

LES ETUDIANTS

 

Nom: Oisín Ó Dubhláin

Pays: Irlande

Etudes: Infirmier (spécialisé en maladies mentales)

A:  L’Université de Dublin

Nom: Jakub Biernat

Pays: Poland

Etudes: Droit

A: L’Université Maria Curie-Sklodowska à Lublin   (photo: Patryk Mizerski/Radio Lublin)

 

Nom: Rosa Vighetto

Pays: Italy

Etudes: Langues étrangères

A : L’Université de Turin, où elle travaille pour l’association étudiante “Studenti Indipendenti”.

Nom: Mihail R. Doychinov

Pays: Bulgaria A

Etudes: Biomanagement et développement durable

A: L’Université St. Kliment Ohridski de Sofia

 

Nom: Lucia Kula

Pays: Netherlands

Etudes: Droit et sciences politiques

A:  L’Université d’Utrecht pour les sciences appliquées et à l’ Université d’Amsterdam

Nom: Lorena Antonovici

Pays: Romania

Etudes:  Psychologie clinique et psychothérapie

A: L’Université Al. I. Cuza de Iaşi

Pour quoi luttez-vous ?

Oisín : C’est la hausse des frais d’inscription qui pousse les étudiants à se radicaliser, ils étaient de 850 € quand j’ai commencé mes études et cette année ils atteignent presque 2 500 €. Cela signifie qu’encore plus d’étudiants ne peuvent tout simplement pas se permettre de faire des études, doivent les arrêter ou n’ont pas d’autre choix que de travailler de longues heures en parallèle de leurs études. Plus globalement, les étudiants luttent aussi pour une société plus juste et l’enseignement en fait bien sûr partie intégrante.

Jakub : Nous luttons contre la marchandisation de l’enseignement supérieur, contre la mise en place de frais de scolarité dans les universités polonaises et contre le processus de Bologne. Il y a un an, nous nous opposions au licenciement programmé de 400 salariés de notre université, des auxiliaires qui étaient en grande partie des femmes. A Lublin, nous avons lancé une série de débats autour de l’enseignement supérieur afin d’exprimer notre désaccord avec la politique du gouvernement qui vise à appliquer les principes du libre-échange à l’enseignement. Les médias locaux et nationaux ont largement couvert notre débat, ce qui est un bon début.

Rosa : En 2008, le gouvernement italien a proposé une réforme et cela fait maintenant deux ans que des étudiants de toute l’Italie s’y opposent. Le plus problématique avec cette loi, c’est qu’on essaie de résoudre les problèmes qui sont apparus dans les universités italiennes au cours des dernières décennies sans étudier leurs causes et sans se soucier des conséquences réelles que la réforme aura sur le système d’enseignement supérieur. De cette manière, les mesures prévues mettent en danger la qualité de l’enseignement universitaire et sa gratuité. Cette réforme ne contient pas assez de normes précises pour garantir l’application de la loi et elle finira donc sûrement par encombrer la bureaucratie tout entière et ce, probablement, pendant des années.

Mihail : Chaque fois qu’on me pose une question à ce sujet, mon émotion dépasse mes mots ! Depuis des années et des années, le gouvernement bulgare néglige progressivement les étudiants et les chercheurs. Nous voulons des résidences qui soient aux normes de sécurité. D’une année à l’autre, les frais de scolarité augmentent pendant que nos bourses diminuent et on exige de certains experts ou chercheurs de travailler pour 200 € par mois. Nous voulons également dénoncer la culture de la corruption car certains étudiants obtiennent leurs diplômes en soudoyant les professeurs ou les responsables.

Lucia : Les étudiants néerlandais se battent contre les coupes budgétaires en matière d’enseignement supérieur. Par souci d’économie, les étudiants qui mettront une année de plus à finir leur cursus de licence devront payer 5000 € de frais de scolarité par an. Les sommes allouées aux universités seront également réduites en proportion du nombre d’étudiants qui mettront plus de temps que prévu à finir leur cursus.

Lorena : Les étudiants protestent contre le manque de qualification de leurs enseignants, qui souvent n’ont pas été assez préparés pour répondre aux demandes des étudiants. L’évaluation et la notation sont aussi un problème de taille. Nous combattons aussi les frais exorbitants, qui ne couvrent même pas le minimum nécessaire aux étudiants, comme des salles de classe et des bibliothèques modernes ou un enseignement de qualité.

Pour vous, à quoi ressemblerait une université plus juste et de meilleure qualité ?

Oisín : D’après moi, du primaire au supérieur, l’enseignement doit être financé par un système d’impôt progressif, motivé par la conviction que l’enseignement est un droit inaliénable et non un privilège. L’enseignement devrait avoir une place de choix dans le budget des gouvernements. Ce n’est pas le cas de l’Irlande, qui se trouve bien en-dessous de la moyenne européenne en termes de dépense pour l’enseignement.
J’estime aussi que le système des bourses devrait être centralisé car leur gestion par les autorités locales est lamentable, et elles devraient être étendues aux travailleurs pauvres. Les étudiants qui sont financièrement indépendants ne devraient pas être pénalisés à cause des ressources de leur famille.
Le privé devrait rester le privé. C’est-à-dire que l’argent de l’Etat ne devrait pas servir à faire fonctionner des établissements privilégiés et exclusifs, qui sont néfastes non seulement pour l’égalité de l’enseignement mais aussi pour l’égalité dans la société tout entière.

Jakub : J’aimerais davantage de démocratie : étudiants, chargés de cours et professeurs d’université devraient décider ensemble. Les universités devraient renouer avec l’idée de la communauté plutôt que de se transformer en entreprises. Mon rêve serait que tous aient les mêmes chances d’accéder à l’enseignement supérieur et que les étudiants bénéficient d’une bonne couverture sociale. Notre université devrait améliorer son système de bourses. Enfin, nous menons une campagne de défense des droits des migrants à Lublin et c’est pour cela que j’aimerais qu’ils puissent étudier à l’Université Maria Curie.

Rosa : L’Etat devrait investir dans l’enseignement universitaire et la recherche au lieu de réduire le peu de ressources dont nous disposons. Depuis 2009, l’Etat a réduit de manière drastique les investissements. Les administrations des universités devraient être plus démocratiques et permettre à ceux qui y travaillent ou y étudient de faire des propositions et de donner leur opinion lors des prises de décision. Pour que tous les étudiants aient les mêmes chances, il est nécessaire de mettre en place un système de bourses efficace. Enfin, on devrait considérer les diplômés comme unechance pour l’ensemble de la société et leur donner la possibilité d’utiliser leurs compétences et leurs connaissances pour améliorer le monde qui les entoure. À l’heure actuelle, les chercheurs doivent choisir entre travailler dans des conditions précaires sans avoir de réelles perspectives d’avenir, ou partir à l’étranger. Je crois que cette situation représente un des plus gros gâchis de la société italienne.

Mihail : Nous voulons être en sécurité dans notre université et nos résidences universitaires. Nous voulons être entendus et vivre dans une société où l’on reconnait à leur juste valeur ceux qui ont fait des études supérieures. Nous voulons un gouvernement qui sache qu’il est nécessaire d’investir dans l’enseignement, même en période de récession. Nous voulons que nos professeurs soient intéressants et justes, plutôt que paresseux et corrompus.

Lucia : Pour améliorer l’enseignement universitaire, il faudrait que les étudiants et les professeurs soient en mesure de développer leurs personnalités et leurs compétences. Pas seulement des compétences professionnelles mais également des compétences utiles au quotidien. L’enseignement ne s’arrête pas à ce qu’on apprend en cours. Les universités devraient encourager les étudiants et les professeurs à approfondir leurs connaissances, et accroître toujours plus la diversité sociale dans ses institutions.

Lorena : Les enseignants devraient recevoir une meilleure formation, c’est-à-dire qu’ils devraient non seulement être compétents mais aussi être de bons pédagogues. En effet, beaucoup d’entre eux ont une approche de l’enseignement plus théorique que pratique. Les examens aussi devraient être axés sur davantage de pratique et requérir plus d’entraînement. Ils devraient comporter une partie écrite et une partie orale. Pour que l’université soit de meilleure qualité, il faudrait pouvoir étudier dans un environnement décent et agréable, et disposer de bons équipements pédagogiques. Les locaux devraient être engageants de l’extérieur comme de l’intérieur, les sanitaires devraient disposer de papier-toilette, de savon, etc. Les étudiants devraient pouvoir consulter des livres par eux-mêmes sans devoir attendre au moins 30 minutes qu’on vous apporte le document. Plus précisément, il faudrait équiper les bibliothèques d’étagères et de cartes d’accès.

Les étudiants manifestent partout en Europe. Considérez-vous ce mécontentement comme une occasion de lancer un mouvement politique transnational ? Quelles seraient les conditions nécessaires pour y parvenir ?

Oisín : La solidarité entre les étudiants d’Europe est possible. Nous pouvons nous inspirer des actions et des tactiques des étudiants dans d’autres pays et d’en tirer des enseignements. Nous le faisons d’ailleurs déjà. Malheureusement, le mouvement étudiant a stagné et a pris un virage à droite dans de nombreux pays, c’était notamment le cas en Irlande, ces dix dernières années. C’est seulement maintenant que les étudiants renouent avec le radicalisme et l’idéalisme qu’ils avaient perdu. D’énormes différences continuent bien sûr d’exister entre les différents systèmes d’enseignement supérieur en Europe et il est donc compliqué d’organiser une coalition à l’échelle de l’Europe. Une réflexion européenne peut difficilement être entamée alors qu’il reste tant de travail à faire pour définir une approche radicale etglobaledu militantisme étudiant dans son propre pays. Oui, le potentiel existe, mais il reste beaucoup de travail à accomplir !

Jakub : Oui, j’encourage les étudiants polonais à se joindre aux militants européens. Il est bon de voir que des politiques, comme Caroline Lucas, soutiennent le mouvement. Par-delà les frontières européennes, tous les militants doivent se battre pour le changement. Le réseau Transeuropa peut s’avérer utile pour œuvrer ensemble à mettre en place un enseignement supérieur gratuit et accessible au plus grand nombre. A Lublin, les membres du réseau Transeuropa font campagne ensemble contre le licenciement du personnel auxiliaire et nous sommes en contact avec des militants de Tuebingen, de Heidelberg et de Berkeley. Là encore, nous essayons de créer des alliances au niveau international.

Rosa : Même si les problèmes et leurs causes varient d’un pays à l’autre, certains sujets d’inquiétude dépassent les frontières. Je pense que ces sujets devraient être le point de départ d’un mouvement transeuropéen qui mette en relation des associations étudiantes et des ONG. Ce travail sera seulement possible si, après avoir défini des principes communs, les différentes associations font leur maximum pour les mettre en application au niveau local. Nous ne pourrons probablement pas atteindre cet objectif à court terme mais quelques petites étapes ont déjà été franchies sur cette voie,  et j’espère que les organisations européennes continueront à promouvoir ce genre de collaboration.

Mihail : D’après moi, c’est une très bonne idée. Je pense que les étudiants du monde entier ont les mêmes revendications. Cette collaboration pourrait prendre la forme d’un organisme de protection des droits des étudiants européens. Pour atteindre cet objectif, nous devons d’abord nous montrer ouvert les uns envers les autres, peu importe notre origine.
Ensuite, il nous faut faire la liste de nos droits et les défendre tous ensemble, peu importe le pays où ils sont bafoués. Nous devons être solidaires de tous les étudiants d’Europe. Si ce souhait devient réalité, il donnera de l’espoir à tous les étudiants européens. Nous nous sentirons plus forts et nous regarderons tous l’avenir avec optimisme.

Lucia : Je pense qu’une collaboration des différents syndicats nationaux et de l’Union des étudiants d’Europe (ESU) serait un excellent moyen de déclencher un mouvement européen. Il est nécessaire que des étudiants de toute l’Europe soient motivés et se mobilisent pour défendre leurs revendications et qu’ils amènent d’autres étudiants à les imiter.

Lorena : Bien que la politique m’inspire peu et qu’en Roumanie la politique donne lieu à de nombreuses controverses, j’estime qu’il est possible de créer un mouvement politique transeuropéen. Pour faire de cela une réalité, je pense que les étudiants devraient être mieux informés de leurs droits et des autres méthodes d’enseignement qui existent dans le monde.

Vous êtes étudiant dans un pays qui n’est pas cité ci-dessus et vous souhaitez répondre à ces questions, contactez-nous et nous publierons vos réponses.