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Lybie: ingérence ou soutien

Paris,
Vendredi, 18 Mars, 2011

Interviewé par: Luigi Cascone

Madame Malika Benarab-Attou est membre de la Délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et l’Union du Maghreb Arabe. Membre de la Commission de l’éducation et de la culture du Parlement européen, elle en est aussi la coordinatrice pour le groupe des Verts/ALE.

Ce qui est frappant dans la crise libyenne, et lors des récents soulèvements au Maghreb en général, c’est la totale incapacité européenne à faire face à ces questions. Tout comme en Bosnie et au Kosovo, l’Union européenne se montre incapable d’avoir une politique efficace par rapport à la défense des droits de l’homme, mêmes quand ces violations sont perpétrées à une centaine de kilomètres. Comment expliqueriez-vous cela?

Lorsqu’on analyse les relations de l’UE avec les pays de la Méditerranée et du Maghreb, il faut tenir compte des facteurs historiques et stratégiques. Le passé colonial, surtout pour la France, est un élément clé dans l’équation nord-africaine. Ce passé, comme la période actuelle malheureusement, est marqué par la prépondérance des intérêts économiques, notamment liés à l’exploitation et à la distribution des ressources énergétiques dérivées d’hydrocarbures. Cette dimension « stratégico-économique » rend difficile toute comparaison entre les événements du Kosovo et de Yougoslavie des années 90 et ceux des révolutions arabes d’aujourd’hui.

L’ONU a approuvé une résolution pour garantir une no-fly zone. Que pensez-vous de cette résolution? Selon vous, pourquoi la communauté internationale a attendu si longtemps pour condamner les atrocités en Libye?

 Il est évident que le retard avec lequel la communauté internationale a répondu à ces évènements dramatiques est largement du au traumatisme que les guerres en Irak et en Afghanistan ont causé aux États-Unis et à la coalition occidentale. L’Europe craignait de s’enliser pour plusieurs années dans une autre mission sur le terrain. Cependant, en ce qui concerne la résolution du Conseil de sécurité, je dois admettre qu’elle me laisse plutôt inquiète. Il est bien sûr indispensable d’agir pour arrêter les massacres de Kadhafi, mais je ne suis pas sûre qu‘il s’agisse de la meilleure solution. Une guerre n’est jamais la meilleure solution.

Le Parlement Européen a reconnu le Conseil National de Transition avant l’ensemble des gouvernements nationaux. Ce geste politique était essentiel pour affaiblir Kadhafi. L’UE a également mis en place rapidement les mesures préconisées par la résolution 1970 des Nations Unies, à savoir l’embargo sur les armes, l’interdiction de voyager et le gel des avoirs du clan Kadhafi (L’UE est d’ailleurs allé plus loin que les mesures indiquées par la résolution). L’UE disposait de nombreux autres moyens pour bloquer le Raïs, ne serait-ce qu’au niveau financier ou commercial de manière à arrêter tout flux d’argent susceptible de financer les mercenaires principaux responsables de crimes les plus horribles. Ces moyens de pression ne pouvaient pas laisser le régime de Tripoli indifférent

 La situation est explosive dans la région. Toute erreur ou faux-pas peut modifier l’équilibre et les dynamiques régionales. L’Algérie, pays frontalier de la Libye, avec ses milliers de victimes pendant la guerre civile des années 90, nous rappelle combien un conflit interne peut dégénérer en un conflit sanglant.

Les groupes rebelles libyens ont plusieurs fois demandé l’aide militaire de l’Union Européenne pour pouvoir avoir une chance de lutter contre les avions du gouvernement. La ligue arabe a demandé aussi une no fly zone. Il y a déjà des milliers de morts. Dans des cas si désespérés, comment faire pour ne pas confondre le pacifisme avec l’indifférence?

Je répète, la nécessité d’arrêter la violence de Kadhafi contre son peuple est impérieuse et l’importance de l’action humanitaire est incontestable, mais en même temps, il faut tenir compte de l’énorme importance que le pétrole joue dans l’architecture de l’intervention occidentale en Libye.

Le Parlement européen a adopté une résolution qui prévoit à la fois un très fort soutien pour la population libyenne et l’interdiction de toute forme d’ingérence. En politique, il est difficile de déterminer exactement la limite entre l’un et l’autre, mais nous pensons que nous devons développer une réponse capable de soutenir la lutte légitime pour les droits du peuple libyen, sans mettre en place des politiques d’intervention de type néo-colonialiste.

Comment jugeriez-vous les actions que l’UE a menées pendant ces crises? Et quelles perspectives voyez- vous pour une politique étrangère commune de l’Union?

Si les mouvements révolutionnaires en Afrique du Nord ont montré qu’il n’existait pas encore de réelle Politique Etrangère Commune de l’Union Européenne. ils nous ont également rappelé la nécessité d’un telle politique pour permettre à l’UE d’agir et d’être un véritable acteur. Il faut mettre en œuvre dès que possible le Service Européen pour l’Action Extérieure institué par le Traité de Lisbonne. Enfin, il est nécessaire que les États membres s’abstiennent d’afficher des positions individuelles comme cela a été le cas pour la question libyenne.

En raisonnant dans une perspective plus large, il est nécessaire que tous les pays européens reconsidèrent leur politique envers les pays de la Méditerranée avec lesquels nous partageons des racines et une civilisation communes. Si nous souhaitons continuer à être des acteurs clés dans cette région, nous devons établir une politique de partenariat sans hypocrisie, en particulier dans le domaine des politiques migratoires. Une déconstruction du discours politique qui décrit souvent les immigrés comme des envahisseurs et des criminels est indispensable. Nous avons besoin de repenser une politique des frontières qui garantisse un partenariat véritable entre les pays riverains de ce pont commun qu’est la Méditerranée.

Ce mouvement, que certains commentateurs ont comparé à un Printemps des peuples du monde arabe, a allumé la flamme de l’espoir pour des millions de personnes vivant sous l’oppression. L’expulsion de Ben Ali par une population qui affirme avec force ses aspirations démocratiques a déclenché un processus qui va définitivement changer la géopolitique du Moyen-Orient. Le rôle de l’Union Européenne dans cette période délicate, est de soutenir le mouvement pour la liberté, en aidant ces peuples à suivre le chemin de la transition démocratique, en restant attentif au risque que de nouveaux régimes autoritaires puissent prendre la place de ceux chassés avec difficulté ces derniers temps.

Ce que nous vivons est un moment historique. L’Europe ne peut pas limiter sa participation à des bombardements et à la fermeture des frontières.