L'Europe est-elle à l'aube d'un 'hiver contestataire' ?


Photo: syhs/Flickr 

article par Sam Logan et Dominique Tuohy
traduction par Alexis Gratpenche

Les réformes de l'enseignement et le mécontentement de la jeunesse en Europe
 
Au cours des toutes dernières semaines, on a vu naître et s'amplifier un large mouvement de contestation chez les jeunes dans un certain nombre d'états européens. Beaucoup parlent à mots couverts d'un nouveau mai 68 ou disent que nous sommes à l'aube d'un 'hiver contestataire'.
 
Au Royaume-Uni et en Italie, une part importante de la jeunesse se mobilise contre les propositions de refonte de leur enseignement supérieur respectif. Cette réaction n'est  guère surprenante quand on compare l'enseignement supérieur qu'ont connu les dirigeants d'aujourd'hui et le système qu'ils veulent imposer à leur enfants et petits-enfants. Au Royaume-Uni, ceux qui sont aujourd'hui aux commandes n'ont non seulement pas eu à payer pour leurs diplômes mais ils pouvaient aussi demander à toucher les indemnités de chômage pendant les vacances d'été, de Noël ou de Pâques, ou se faire rembourser leur billet de train à la fin du semestre. Et ce, au cœur de la récession des années 80 alors que l'état britannique souffraient de lourds problèmes de financement et qu'une grande partie des avantages sociaux avait été réduite à néant.
 
On prend bien soin de ne pas s'attarder sur cette époque et on explique que ces réformes sont indispensables pour la bonne santé financière de l'état et que le seul et unique moyen possible pour financer l'enseignement supérieur est de facturer l'année 9 000 £ pour les étudiants de premier cycle. Si les lois sont votées et que les frais d'inscriptions sont aussi élevés, l'Angleterre aura les universités publiques les plus chères du monde – en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord, les politiques d'éducation sont de la responsabilité des parlements régionaux et l'Assemblée galloise et le Parlement écossais ont chacun décidé de ne pas augmenter les frais d'inscription de leur universités.
 
Le gouvernement de coalition affirment que ces propositions de loi sont justes étant donné que les étudiants peuvent financer leurs études en contractant un emprunt avec un taux d'intérêt plus bas que celui du marché : ce taux est tout de même de 3% et tient compte de l'inflation, les étudiants ne commenceront ensuite à le rembourser qu'à partir du moment où ils gagneront plus de 21 000 £ par an. La réforme est aussi censée protéger les plus démunis parmi la population estudiantine.
 
L'étude des frais d'inscription est le fruit d'une étude indépendante menée par M. Browne, député à la Chambre des Lords, qui définit deux solutions pour combler le déficit du système d'études supérieures : d'une part, un impôt sur les diplômes (à revenu égal, les diplômés paieraient alors un impôt supplémentaire que les non-diplômés n'auraient pas à payer) et d'autre part, une augmentation des frais d'inscription.

Il n'est pas tout à fait certain que la réforme soit adoptée par le Parlement. Un conseiller local libéral-démocrate affirme en effet qu'il a le sentiment que l'accord de coalition a été “bafoué sans commune mesure” et qu'on peut s'attendre à ce qu'un certain nombre de députés libéraux-démocrates s'opposent à la proposition de loi. Le vote est pour l'instant prévu le jeudi 9 décembre.
 
De nombreuses manifestations ont eu lieu pour protester contre ces réformes. Elles se sont, dans l'ensemble, déroulées dans le calme, hormis quelques débordements violents dont l'occupation remarquée du siège du Parti conservateur qui a occasionné plus d'un million de livres de dégâts matériels.
 
Au même moment en Italie, un gouvernement profondément endetté cherche à réformer de manière drastique le secteur national de l'enseignement supérieur. Selon ses propositions, les universités déficitaires n'auraient alors d'autre choix que de fermer. Mariastella Gelmini, ministre de l'Enseignement, affirme que ces réformes permettraient de lutter contre les diplômes 'inutiles' qui ont proliféré ces dernières années et qu'elles promouvraient la méritocratie, la transparence et la compétitivité internationale au sein de l'enseignement supérieur italien.
 
Au Royaume-Uni comme en Italie, si de telles réformes étaient votées, le nombre d'étudiants reculerait sans doute, notamment dans les filières d'arts et de sciences humaines.
 
Le syndicat universitaire UCU (Union of Colleges and Universities) vient de rendre publique une étude selon laquelle plus de quarante universités risqueraient la fermeture si leur financement dépendait de leurs étudiants.
 
La France, qui a un héritage de mouvements sociaux beaucoup plus important que le Royaume-Uni, a connu des manifestations contre la réforme des retraites qui ont attiré de nombreux jeunes de moins de 18 ans. Beaucoup d'observateurs affirment qu'une grande partie des manifestants exprimaient en réalité un sentiment général de frustration face au gouvernement, plutôt qu'une inquiétude spécifique sur la réforme des retraites.
 
Les conséquences du Processus de Bologne
 
Les propositions de loi, tout particulièrement au Royaume-Uni, sont susceptibles de faire reculer les avancées obtenues avec le Processus de Bologne. Une forte variabilité des frais d'inscription risque de freiner la mobilité des étudiants en Europe. En outre, on peut également s'interroger sur l'équité de ces réformes. Est-il juste que le système britannique d'enseignement fonctionne en partie sur l'autofinancement alors que les diplômes de tous les citoyens européens sont payés en intégralité par les contribuables ?
 
Le gouvernement britannique compare le diplôme à un 'investissement' dont la valeur et la fiabilité sont quantifiables et prévisibles avec précision mais, en réalité, rien n'est sûr quand un jeune de 18 ans dépense autant d'argent, quelque soit l'investissement. C'est une erreur de considérer un diplôme comme un 'investissement' rentable financièrement, comme peuvent aujourd'hui en témoigner beaucoup de diplômés issus de la 'génération sacrifiée'. Depuis le début de la crise et le taux du chômage record des jeunes européens (diplômés ou non), on entend beaucoup parler d'une 'génération perdue'. En réalité, être diplômé de premier cycle est aujourd'hui un pré-requis minimum pour se faire une place sur le marché du travail, et les taux de chômage montrent que, dans bien des cas, cela ne suffit encore pas à garder son emploi. L'accès à l'enseignement supérieur est donc une question d'égalité des chances. Avec les réformes prévues, la situation sera telle que la capacité à poursuivre des études sera fonction de la capacité à les financer. Combien de jeunes parmi les générations à venir seront alors 'laissés pour compte' ?
 
Si l'enseignement supérieur doit effectivement s'autofinancer et si les gouvernements souhaitent en faire un véritable 'marché', ce secteur devrait alors se comporter comme tel et fournir de meilleurs renseignements sur les services qu'il dispense. Si les jeunes doivent dépenser autant pour étudier, ils devraient être mieux renseignés sur les retours qu'ils peuvent espérer de leur 'investissement'.
 
Le débat sur la refonte de l'enseignement supérieur fait partie plus largement du débat sur  les mesures d'austérité en Europe, voire même du débat qui a lieu à propos du modèle de société dans lequel nous, Européens, souhaitons vivre. Le droit de tous les citoyens européens à suivre des études de qualité et à un prix abordable et d'avoir les mêmes chances de réussir sur le marché de travail devrait faire partie des droits fondamentaux. Nous avons récemment publié un article dans lequel nous exposons notre point de vue quant à la vague d'austérité qui traverse en ce moment l'Europe et où nous nous déclarons en faveur d'une approche transnationale, à l'inverse de ce qui est entrepris aujourd'hui. En faisant preuve de solidarité, les citoyens européens peuvent, et même doivent, s'unir et construire une société nouvelle, profondément juste pour tous. Unissons?nous et agissons aujourd'hui !
 
Alternatives Européennes rédige actuellement une série d'articles sur la refonte de l'enseignement supérieur en Europe dont le présent article fait partie. Ne manquez pas les prochains !
 
Lisez et signez, s'il vous plaît, notre pétition pour que les instances représentatives incluent les citoyens européens dans le processus de construction d'une nouvelle économie pour l'Europe.