Par Sam Logan
Traduit par Audrey Ubertino
L’augmentation des prix de l’alimentation s’annonce comme la pomme de discorde principale dans le monde en 2011. Au cours de la semaine dernière, des émeutes ont éclaté en Algérie, déclenchées par une forte augmentation soudaine des prix des aliments de base, et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a publié des chiffres qui montrent que les prix des produits alimentaires de base ont atteint des niveaux record en décembre, dépassant de loin les niveaux qui ont déclenché des troubles sociaux généralisés dans plusieurs pays en 2008. Les raisons évoquées quant à l’augmentation des prix comprennent les spéculateurs qui achètent de grandes quantités de marchandises, le marché en plein essor des biocarburants, l’augmentation de la population mondiale et l’augmentation du pouvoir d’achat dans la plupart des pays en voie de développement. Dans un monde où des millions de personnes en Chine, en Inde et ailleurs échappent (de manière admirable) à la pauvreté tous les ans et peuvent se permettre de s’offrir des repas de qualité (ce qui généralement signifie plus de viande), cela implique une pression toujours croissante sur les ressources.
La combinaison de ces facteurs a incité la FAO à avertir que les prix élevés sont là pour durer. La peur d’une famine généralisée, déclenchée par des produits alimentaires de base de moins en moins abordables, a mené les gouvernements chinois et indien à imposer des interdictions d’exporter certains produits. Heureusement, le prix du riz est resté relativement stable, ce qui permet de s’assurer que les pauvres au niveau mondial ne sont pas (encore) touchés aussi durement qu’en 2008.
La France, qui dirige actuellement le G20, fera du sujet des prix de l’alimentation une priorité lors du sommet à Paris, les 27 et 28 janvier, et les représentants chercheront des solutions afin de maintenir les prix de l’alimentation à un faible niveau.
Outre la probabilité que les travailleurs européens pauvres vont devoir dépenser une part plus élevée de leurs revenus dans l’alimentation, (tout en s’inquiétant de la stagnation ou du déclin des salaires et des perspectives sombres du marché du travail), l’approvisionnement et les prix de l’alimentation (plus spécifiquement, comment l’UE intervient-elle pour les influencer) seront d’actualité pour une autre raison cette année, puisque la future direction de la Politique agricole commune doit être établie en milieu d’année. Le contexte probable d’augmentation des prix va compliquer la tâche des législateurs de justifier le fait que les subventions du secteur agricole s’élèvent à 43% du budget de l’UE.
La semaine dernière, Caroline Spellman, la ministre de l’Environnement britannique, s’est exprimée en faveur d’un remaniement drastique de la PAC, en affirmant aux agriculteurs présents lors d’une importante conférence des industries majeures qu’il est « temps de faire des progrès significatifs pour la réduction de notre dépendance aux paiements directs » et que « l’augmentation de la demande mondiale de nourriture et l’augmentation des prix de l’alimentation rendent possible la réduction des subventions et le projet de leur abolition. »
D’après plusieurs analystes, la PAC est aujourd’hui incontestablement obsolète. Neil Thurnock, journaliste impliqué dans le projet de subventions agricoles, soutient que la PAC est née de circonstances spéciales au début des années d’après-guerre, lors d’une sévère pénurie de production alimentaire en Europe. Depuis que la politique a été mise en place, l’agriculture est devenue extrêmement mécanisée, la population continue de quitter la campagne pour des zones urbaines, l’offre de nourriture dépasse la demande de manière significative et beaucoup moins de sources de revenu sont soutenues par la PAC, bien qu’elle continue de représenter près de la moitié du budget de l’UE. Des recherches menées par farmsubsidy.com montrent que la majorité des subventions de la PAC finissent dans les mains de riches propriétaires terriens, dont les membres de la famille royale britannique sont les destinataires.
Dans un monde où le nombre de personnes sous-alimentées a doublé en dix ans, (d’après…), malgré l’augmentation du niveau de vie pour des millions d’autres, atteindre la sécurité alimentaire mondiale devrait être un principe central de la réforme européenne sur la politique alimentaire, et la PAC devrait y contribuer.
Que la PAC, dans sa forme actuelle, contribue ou non à l’augmentation des prix de l’alimentation fait l’objet de controverses. La Commission soutient que cette politique a moins d’effets de distorsion que les subventions américaines, et qu’elle n’affecte pas les prix à l’échelle mondiale.
Cependant, il est discutable qu’en maintenant artificiellement les prix bas pour les consommateurs en Europe, la politique fait la promotion de la surconsommation, qui mène à un gaspillage massif. De plus, si le bétail est nourri de soja et de céréales importés, le prix de ces marchandises est plus élevé dans les pays développés, et une grande partie de cette viande est alors perdue.
Il est cependant évident que la politique alimentaire de l’UE ne contrôle pas suffisamment le gaspillage de nourriture et n’aide pas à atteindre la sécurité alimentaire mondiale. D’après certaines estimations, jusqu’à la moitié de la nourriture produite en Europe est jetée chaque année (ZeroWasteEuope propose des statistiques particulièrement choquantes sur son
site).
Peut-être que, parmi les solutions, se trouve un changement de culture en occident, loin de la tolérance vis-à-vis de la nourriture gaspillée, et la politique alimentaire de l’UE devrait pouvoir réduire le gaspillage alimentaire de manière drastique.
Outre le gaspillage alimentaire, il n’est guère indiqué de subventionner la production de viande et de produits laitiers, qui est bien plus intensive que la culture de céréales et de légumes, et qui fait monter le prix des marchandises de base. De plus, étant donné que la production des produits laitiers et de la viande est responsable de près de 20% des émissions de gaz à effet de serre en Europe, réduire leur consommation pourrait aider à respecter les engagements de l’UE concernant la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Bien sûr, la réduction de ces subventions aurait pour effet de rendre ces produits plus chers pour les consommateurs et serait ainsi politiquement difficile, mais si le compromis était une réduction conséquente de la somme injectée dans la PAC, et des marchandises de base moins chères, une bonne partie de la population pourrait y être favorable.
La gravité éventuelle du contexte international peut fonctionner comme un rappel aux législateurs que la Politique agricole commune a des ramifications significatives au-delà de l’Europe, et que ces ramifications ne peuvent être mises de côté.
La PAC a été mise en place afin de résoudre un problème (à l’époque) critique de pénurie alimentaire (en Europe) et de mauvaises conditions de vie pour les agriculteurs européens. Avec un peu de chance, la réforme sera confectionnée de manière à résoudre les problèmes actuels les plus importants. En 2011, lorsque la disponibilité et le prix de l’alimentation seront probablement un problème important au niveau mondial, peut-être que satisfaire les exigences de l’alimentation mondiale sera une considération plus importante que la perpétuation des subventions directes aux propriétaires terriens et aux agriculteurs qui, bien souvent, bénéficient aux personnes déjà aisées, et guide la production vers des produits qui attirent les subventions les plus importantes, plutôt que vers les produits que les consommateurs consomment vraiment. Beaucoup au sein de la Commission ont exprimé le désir de poursuivre dans cette direction, et il est important que nous ne laissions pas les intérêts particuliers mettre la réforme en échec.
Lorsque le lobby agricole descendra en masse dans les rues de Bruxelles plus tard dans l’année, déterminé à bloquer toute initiative qui tendrait à s’écarter du statu quo, il est important que le public européen et ceux au pouvoir se souviennent que cette politique ne concerne pas uniquement l’Europe. Si à toute chose malheur est bon, peut-être que le contexte international austère veillera à ce que nous ne l’oublions pas.