Photo :
Flickr
Par Cristina Bermejo, Secrétaire à la jeunesse, Comisiones Obreras
Traduit par Audrey Ubertino
1. Introduction
La terrible crise financière de 2008, causée par une avidité irréfléchie et incontrôlable et des banques insatiables, a déclenché une crise économique et sociale avec de graves répercussions sur les Etats-membres de l’UE. Cela se reflète sur les croissances économiques en baisse, le chômage en hausse, des mesures d’austérité sévères, des taux de perte d’emploi plus élevés, plus d’emplois précaires, des réductions généralisées des salaires et des subventions et une réduction des droits à la retraite… Ainsi, les travailleurs payent le prix fort pour la folie du monde financier, où les salaires et les bonus sont toujours honteusement élevés.
Les soi-disant « plans de sauvetage » de la Grèce et de l’Irlande ont conduit l’UE à mettre la pression non seulement sur ces pays, mais aussi de manière générale, à baisser les salaires et les retraites et à introduire davantage de « flexibilité » (c’est-à-dire affaiblir les négociations collectives et les lois sur le travail) dans les marchés du travail.
Le récent « Pacte sur la compétitivité et la convergence » adopté par la Commission européenne va engendrer des réductions supplémentaires dans les dépenses sociales et l’investissement public et est le précurseur de nouveaux plans d’ajustement. L’absence de politique solide et cohérente de la part du gouvernement européen, ainsi que le problème des dettes souveraines, sert également d’excuse aux institutions européennes afin de promouvoir un programme agressif de réformes structurelles, de nature réellement néolibérale, qui met en place un programme complet de réductions des droits et des prestations sociales. Jamais dans l’histoire de l’UE et des institutions européennes qui l’ont précédée ne s’est produit un tel phénomène.
Pour ceux qui se trouvent à la barre des institutions politiques de l’UE, la croissance économique et la création d’emplois sont des objectifs secondaires et subordonnés, depuis le tournant drastique qu’a connu la politique européenne en mai dernier. C’est sans compter sur des problèmes tels que la protection de l’environnement, qui court le risque d’être relégué au second plan à cause des difficultés économiques et des faiblesses politiques, alors qu’il devrait passer avant tout, en particulier à la lumière du récent désastre nucléaire japonais.
La proposition de « gouvernance économique » de la zone euro et de l’UE est inacceptable car elle est concentrée, de manière obsessionnelle, sur la réduction des déficits publics et la mise en œuvre de « réformes structurelles » dans des secteurs tels que les négociations collectives et les marchés du travail, les retraites et autres subventions, dans lesquels l’UE à peu de compétences. D’autre part, les aspects essentiels à un gouvernement économique – en particulier les pays ayant une monnaie commune – comme l’impôt normé, n’apparaissent pas dans les objectifs du gouvernement susmentionné.
Précédemment, les jugements de la Cour européenne de Justice – les dossiers Laval, Viking, Rüffert, Luxembourg, etc. – qui ont établit la primauté de la liberté de circulation et l’établissement de capitaux sur le droit de faire grève et le droit à la négociation collective, et la valeur protectrice du droit au travail, ont ouvert la voie au dumping des salaires et de l’emploi, avec les autorités européennes qui ne sont pas disposées à remédier au problème.
Il n’a jamais été plus évident dans l’UE que le gouvernement couvre les intérêts des puissances économiques, en particulier le capital financier, et au détriment des valeurs qui ont inspiré le model social européen. La soumission permanente des gouvernements démocratiques aux exigences, réelles ou supposées, des marchés financiers, constitue une sérieuse détérioration de la démocratie. Il faut souligner que ces marchés sont particulièrement conditionnés au bénéfice des profiteurs ; et également que l’opinion d’un certain nombre d’agences d’évaluation des risques qui devraient être totalement discréditées pour leurs énormes erreurs et complicité dans la création de la bulle d’investissement financière, dont l’éclatement a déclenché la crise dont nous souffrons.
2. Comment se sont produits la crise et la politique de restrictions qui a suivi ?
-hausse généralisée du chômage dans toute l’Europe, avec des taux aussi élevés que celui de l’Espagne (20%), avec un nombre particulièrement élevé de jeunes chômeurs (en Espagne : 30-40%, le double du taux européen), le groupe le plus affecté par la crise, avec les femmes et les immigrés.
-affaiblissement de la protection sociale :
La réduction des allocations chômage (en Espagne, la subvention 426e a été annulée), ce qui impose des conditions supplémentaires pour y avoir accès.
Le gel des retraites et l’obligation immédiate (inutile à court terme) de réexaminer tous les systèmes de retraite (le relèvement de l’âge de la retraite, une augmentation du nombre calculé d’années travaillées nécessaires à l’obtention du minimum retraite, l’introduction de systèmes de financement privé…).
La baisse ou l’annulation des autres prestations sociales (loi de la dépendance, chèque bébé…).
Education : budgets réduits (GB : réduction des bourses/prêts, augmentation des frais universitaires).
Santé : par exemple, réduction des doses de médicament ; coupes budgétaires : privatisation et tentative d’introduire une contribution aux frais de santé (Catalogne).
-modification des conditions de travail
Gel et réduction des salaires (jusqu’à 1,5% en moyenne dans l’UE : Irlande, Grèce, Roumanie, les pays baltes), les salaires du secteur public souffrant des réductions les plus sévères.
Affaiblissement des négociations collectives, rupture des ententes salariales obtenues avec les syndicats, et changement des conditions de travail (jours et heures de travail, mobilité géographique, fonctions…).
Imposition de changements liés à l’emploi au niveau législatif (réforme en Espagne : réduction des coûts et plus grande facilité pour licencier, changement des pratiques de recrutement avec une augmentation des contrats temporaires, non-respect des droits établis dans les conventions…).
Intrusion des Etats et de l’UE elle-même dans l’autonomie des négociations par les interlocuteurs sociaux (syndicats et hommes d’affaires) afin de s’accorder sur les conditions de travail (par exemple, la productivité plutôt que l’inflation en tant que point de référence pour les salaires). Les garanties sont ainsi perdues, non seulement le droit à la négociation, mais aussi d’entreprendre une action collective.
Conclusion : perte globale de gouvernance des Etats et, ainsi, de la population, qui conduit à la destruction progressive du model européen de l’Etat providence par des attaques contre les droits démocratiques fondamentaux et contre les piliers de cet Etat providence (éducation, santé, retraite…).
3. Les alternatives des syndicats
La Confédération européenne des syndicats (CES), dont font partie les Comisiones Obreras, vient de demander un nouvel accord au niveau européen afin de nous sortir de la crise, fondé sur deux piliers fondamentaux : l’émission d’euro-obligations, afin de combattre la crise des dettes souveraines, et un plan de reprise économique à travers un projet d’investissement européen à grande échelle. Bien que ces deux propositions soient fondamentales, nous sommes d’avis qu’une série bien plus vaste de mesures est nécessaire. Elles devraient être adoptées comme fruits de nouvel accord politique et social, qui impliquera les principales puissances politiques européennes, les dirigeants des institutions de l’UE et les organisations représentant les interlocuteurs sociaux européens (Business Europe, UEAPME, CEEP et CES).
A) Contrôler les marchés de la dette
Il s’agit de la tâche la plus importante. Elle consisterait à :
Bannir les opérations spéculatives.
Créer un Fond monétaire européen (FME), suffisamment doté, pour agir en tant qu’instrument d’aide financière et de sauvetage pour les économies qui en ont besoin.
Etablir une Taxe sur les transactions financières (TTF) afin de décourager les mouvements spéculatifs, ainsi que pour réunir une somme d’argent importante pour les coffres de l’Etat.
Eradiquer les paradis fiscaux.
Règlementer les récompenses et les bonus pour la direction des institutions financières.
Mettre des mesures en place afin de s’assurer de la transparence de tous les marchés financiers, dont les marchés secondaires.
Etc.
B) Le plan de relance économique européen
Il doit être basé sur un plan de relance pour les économies européennes, basé sur des investissements dans les infrastructures de transports et d’énergie, les réseaux de communication, la recherche, le développement et l’innovation, l’éducation et la formation, les technologies et les industries vertes, et le financement d’une « transition équitable » pour les économies à faibles émissions de CO2.
Le fardeau du financement de ces mesures ne peut pas retomber une nouvelle fois sur les civiles, au moyen de réductions des salaires et de la protection sociale, mais doit plutôt nécessairement dépendre de l’imposition directe progressive (« Laissez celui qui possède davantage payer davantage »), en prônant une politique fiscale au niveau européen.
C) Mesures liées à l’emploi
L’une des priorités du mouvement syndical européen est de mettre un terme à la menace imminente de dumping des salaires et de l’emploi, causée par la jurisprudence de la CJE, en permettant aux entreprises et aux travailleurs d’opérer dans un état de l’UE dans les mêmes conditions et avec le même salaire que dans un autre pays de l’UE, sans prendre en compte des lois et des conventions du pays dans lequel leur activité économique et professionnelle est réalisée.
La Charte des droits fondamentaux du traité de l’UE doit également mettre l’accent sur les droits à la négociation collective et de faire grève dans leur dimension transnationale.
Dans une sphère syndicale il est également essentiel de promouvoir la croissance de l’emploi, mais de faire pression en faveur de bons emplois durables. Durant les années 2000, près de 19 millions d’emplois ont été créés en Europe. Cependant, cette augmentation était basée sur des contrats précaires, dont un tiers était des contrats à temps partiel ou temporaires, et dont une partie était souvent occupée par des jeunes et des femmes.
A la même période, les contrats atypiques sont devenus plus répandus, tels que les contrats « faux indépendant », les bourses pour les pratiques et les apprentissages, des contrats temporaires très courts par des agences d’intérim, etc. En conséquence, le défi pour les syndicats dans les prochaines années sera de garantir la création d’emplois, considérés comme « du travail décent », c’est-à-dire du travail de qualité, contrairement à la tendance vers l’instabilité qui a précédé la crise.
DEFIS :
Les contrats à durée indéterminée doivent rester la norme.
Une protection établie par une convention collective ou par la loi doit s’appliquer à tous les travailleurs.
Toutes les formes de travail doivent être règlementées soit par des conventions collectives, soit par la loi, afin de mettre un terme aux emplois précaires, le travail clandestin…
La directive sur la circulation des travailleurs doit respecter leurs droits, et garantir une atmosphère de concurrence loyale entre les pays, en respectant les conditions salariales et le rôle des syndicats dans la négociation collective.
Une attention particulière doit être accordée à la différence entre les sexes afin de réduire l’écart de salaire entre les hommes et les femmes et de promouvoir des chances égales qui, à leur tout, favoriseront leur droit au bien-être personnel et familial.
Soutenir l’introduction d’un revenu minimum européen, s’occuper de la situation particulière de chaque Etat-membre, mais avec une base de principes communs.
Réclamer un revenu minimum national pour servir de point de référence pour tous les travailleurs.
J’espère que, avec l’aide de ce résumé, dans lequel j’ai tenté de fournir une perspective européenne sur les problèmes, vous pourrez tenir un débat plus vaste lors des tables-rondes.