Jun 18, 2011
Trans Europa… Droits et discrimination de la population trans’ en Europe
Alessandro Valera interviewe Julia Ehrt, de Transgender Europe
Traduction par Elisa Sance
Ci-dessous : Julia Ehrt.
Photo de Anja Weber
AV: Quelles sont les principales formes de discrimination envers la population trans* en Europe ?
JE: Il faut distinguer les formes directes et les formes indirectes de discrimination. La discrimination directe, c’est celle à laquelle les gens font face quotidiennement dans la rue ou sur leur lieu de travail. La discrimination indirecte, c’est celle que nous appelons structurelle, elle est infligée par l’état lui-même ou par la législation.Les principales formes de discrimination indirecte sont les difficultés émanant de la reconnaissance légale du genre – la possibilité de changer de prénom ou de marque de genre dans les documents officiels. Dans plusieurs pays, ce n’est absolument pas possible. Dans les pays où c’est possible, très souvent il y a des conditions excessives à remplir : les personnes doivent apporter la preuve qu’elles sont stériles de façon définitive, elles doivent avoir eu recours à la chirurgie pour changer de sexe et dans tous les pays un diagnostic de transsexualité ou tout autre document similaire est demandé, ce qui revient fondamentalement à devoir fournir un diagnostic de maladie mentale
Changer de prénom et de genre officiellement est fondamental car sans cela, de multiples autres discriminations s’en suivent puisque la personne n’aura pas de papiers adéquats. De simples actions, comme celle d’aller récupérer son courrier à la poste, de payer avec une carte de crédit ou de s’enregistrer sur un vol dans un aéroport peuvent devenir impossibles à réaliser.
La discrimination directe est un problème sérieux. Elles s’opèrent principalement dans les domaines de l’accès au marché du travail, des crimes de haine et dans les cas de violence envers les transsexuels (qui incluent des meurtres). Nous récoltons des données sur ces domaines à travers différents projets de recherches dont Trans Murder Monitoring Project, qui enregistre les meurtres sur la population trans’ à travers le monde. Ces 3,5 dernières années en Europe, plus de 41 personnes trans’ ont été tuées. Une autre étude venant du Royaume-Uni, qui a été conduite avec des données provenant de la TransEuro Study (2008), confirme que 80% de la population trans’ est victime de remarques négatives et de harcèlement verbal, physique ou sexuel au quotidien. Cela signifie que si vous présentez des signes apparents de votre transsexualité, vous faites face à la discrimination directe tous les jours ; les 20% restant représentent les personnes dont la transsexualité n’est pas apparente.
L’accès au marché du travail est tout aussi catastrophique : le taux de chômage est considérablement plus élevé par rapport au reste de la population.
AV: Vous évoquez la possibilité de passer du genre masculin au genre féminin ou vice-versa. Qu’en est-il des personnes qui ne s’identifient à aucun (ou aux deux) genres ?
JE: Je vois cela comme un combat en deux temps. Si on avait la possibilité de passer du genre masculin au genre féminin sans qu’il y ait de conditions excessives comme la stérilisation, cela constituerait un pas important dans la bonne direction.
AV: Quel est le pays en Europe où la dignité de la population trans’ est la mieux respectée, à la fois en termes d’attitudes sociales qu’en termes de dispositions légales ?
JE:Il est très difficile de juger et d’évaluer les attitudes sociales, je ne suis donc pas en mesure de répondre à cela. En termes de politiques et de procédures législatives en vigueur, l’Ecosse est l’endroit où il faut être ou l’exemple vers lequel tendre. L’Ecosse a une excellente législation permettant la reconnaissance des genres et c’est le seul pays ayant une législation spécifique à la population trans’ en matière de crimes de haine. Le Royaume-Uni a également une législation anti-discrimination très convenable.
En termes de protection contre la discrimination, la Suède est bien placée. Pour la reconnaissance légale des genres, l’Espagne et le Portugal sont très bien. Cependant, au Portugal la loi est récente, il faut donc voir de quelle manière les pratiques vont évoluer. Une bonne législation ne va pas toujours de pair avec une bonne application de la loi.
Ci-dessous : Yara et Sass travaillent pour trans’rights
AV: Et dans quel pays la situation est-elle particulièrement préoccupante pour la population trans ?
JE: En termes de crimes de haine et de meurtres portant sur la population trans’, la situation est particulièrement grave en Turquie et en Italie, avec 13 meurtres dans chacun de ces pays dans les 3,5 dernières années sur un total de 41 en Europe. L’Italie est également une des pires en termes de dispositions législatives. Leur loi sur la reconnaissance légale des genres est particulièrement mauvaise : pour pouvoir changer de prénom ou de genre vous devez être stérilisé, être passé par la chirurgie de changement de sexe et si vous étiez marié, vous êtes obligé de divorcer. Un tribunal a récemment décrété que la stérilisation ne devrait pas être obligatoire, mais il faut voir si cette décision va être mise en application dans toute l’Italie.
L’Irlande n’a aucune législation en vigueur concernant le changement de prénom ou de genre même si la Cour Suprême d’Irlande a rendu un avis contraire sur cette question. L’Irlande est désormais obligée de permettre de changer de prénom ou de genre, mais elle est peu disposée à le faire.
En terme de reconnaissance légale des genres, la Suède est également très mauvaise puisqu’elle continue d’imposer des conditions excessives. Mais cette législation est en cours de révision et la situation pourrait considérablement changer dans 6 mois.
AV: Qu’est-ce que fait l’UE, si elle agit, pour préserver les intérêts et le bien être de la population trans ?
JE: Le principal domaine relevant des compétences de l’UE et s’appliquant à la population trans’ est la lutte contre la discrimination. Le problème est que la discrimination sur la base de l’identité de genre ou de changement de genre n’est pas mentionnée dans le Traité de l’Union Européenne. Toutefois, d’après la jurisprudence, cette discrimination est incluse dans la partie relative au “sexe”. Mais il faut le savoir et il est difficile de mettre la main sur les décisions de justice le confirmant. Et aussi: plusieurs Etats membres de l’UE ne les mettent pas du tout en application, certains le font partiellement, quelques uns, comme l’Allemagne, l’appliquent à la lettre.
AV: Y a-t-il quelque chose d’autre que l’UE pourrait faire, et qui relève de ses compétences ?
JE: Il y a beaucoup de choses que l’UE pourrait faire, mais cela nécessiterait beaucoup de volonté et de courage politique. La discrimination pourrait être combattue en suivant l’approche du mouvement pour la liberté. Lorsque certains citoyens se trouvent dans l’impossibilité de voyager par manque de papiers reflétant leur genre, prénom et apparence, nous nous trouvons face à une violation de la liberté de mouvement. Cette volonté politique est en train de grandir, mais pas assez rapidement.
Ajouter la discrimination sur la base de l’identité de genre au traité de l’UE serait un autre moyen d’agir. Cela demanderait un vote unanime parmi les 27 pays membres, il est donc peu probable que cela arrive dans les prochaines décennies.
Cependant, il y a eu des progrès dans ce domaine. La Commission Européenne a publié une feuille de route pour l’égalité des genres dans laquelle l’identité de genre est mentionnée pour la première fois. Cela aide à convaincre la Commission de faire quelque chose dans ce domaine.
AV: Mon impression est que l’opinion publique sait de façon bien plus claire quelles sont les revendications des gays et lesbiennes, avec l’égalité devant le mariage comme revendication la plus symbolique. Quelle serait la revendication numéro un que pourrait avoir la population trans partout en Europe ?
JE: Ce serait la reconnaissance du genre sur le plan légal : il s’agit du changement de prénom et de genre.
AV: Merci Julia, ça a été un plaisir.
JE: Merci à vous.