May 19, 2014
Entretien avec Igor Štiks
Traduit par Stéphane Prunet Navas
Entretien réalisé par Thomas Giourgas
Igor Štiks est écrivain, activiste et chercheur à l’Université d’Édimbourg où il oeuvre pour la citoyenneté, le dissentiment et la créativité. Originaire de Sarajevo et actuellement installé à Édimbourg, Igor a également vécu au Zagreb, à Paris, à Chicago et à Belgrade. Ses articles et ses commentaires paraissent souvent dans les journaux The Guardian et Open Democracy. Aux côtés de Srecko Horvat, il a été le co-organisateur du Festival Subversive au Zagreb, l’un des rassemblements les plus importants d’Europe. Avec Horvat, il a édité son prochain recueil « Bienvenue dans le désert du post-socialisme : politique radicale au lendemain de la dissolution de la Yougoslavie (Verso, 2014) ». Il est aussi l’auteur de deux romans : Un château à Romagne et La chaise d’Elijah, lesquels ont remporté de nombreux prix et ont été traduits dans une douzaine de langues européennes. Nous avons discuté avec Igor au sujet des nouveaux mouvements progressistes en Europe et dans les Balkans, des influences mutuelles d’activisme, de littérature et de travaux universitaires.
1. Est-ce que votre activisme a une influence sur votre travail de recherche universitaire et si oui, de quelle manière ?
Il y a une interconnexion en ce qui concerne ce que je fais, entre mon intérêt théorique, mon travail de recherche universitaire et mon activisme. L’activisme, c’est quelque chose qui peut être perçu comme un engagement social qui, en même temps, se trouve être votre terrain de travail. C’est l’endroit où vous rencontrez des gens, où vous écoutez les idées de chacun et où vous vivez des expériences qui influenceront vos réflexions théoriques ou vos conclusions. Par exemple, j’oeuvre pour la citoyenneté. Vous pouvez bien sûr aborder le thème depuis une dimension purement juridique. Où alors, vous pouvez essayer d’examiner les effets de l’inclusion et de l’exclusion au sein d’une société déterminée. Cependant, si vous souhaitez explorer la dimension active de la citoyenneté ou de la participation des citoyens, vous devez alors vous rendre sur le terrain et vous mêler à ces citoyens actifs et activistes.
Et je suis certain que vous serez tous d’accord si je dis que la citoyenneté active ne devrait pas être réduite au vote. Et ce que j’appelle citoyenneté activiste (pour reprendre le terme utilisé par Engin Isin), c’est le terrain où nous allons au-delà de ce qui est légalement prescrit et défini comme espaces pour les citoyens actifs. C’est l’endroit où nous ouvrons de nouveaux espaces. Parfois, nous allons à l’encontre de la légalité, de la loi ou des règles en vigueur, mais nous le faisons au nom de la légitimité. En ouvrant ces nouveaux espaces, nous ouvrons également un espace pour de nouvelles expériences démocratiques, et pour l’émergence d’un nouveau sujet politique. Il y a peu de chance que nous puissions créer des sujets politiques réellement nouveaux – cela dépend toujours des changements sociaux qui existent déjà – dans la limite de ce qui est réglementé, prescrit et légal.
Cependant, il y a un toujours un risque lorsqu’on défi la loi, et il existe de nombreux mauvais exemples d’y parvenir. Parfois les gens disent : “Les représentants d’extrême-droite ne vont-ils pas eux aussi à l’encontre de la loi comme vous le faites ?”. Cependant, ici je ferais une énorme distinction entre ce que nous faisons et ce que les extrémistes de droite ont l’habitude de faire : les extrémistes de droite n’ouvrent jamais de nouveaux espaces pour tous. Ils excluent – l’exclusion étant leur moment constitutif -, ils s’organisent de manière hiérarchique car l’ouverture et l’horizontalité détruiraient leur objectif de ne représenter qu’un groupe. En faisant cela, ils ne contribuent pas à l’émancipation qui doit être universelle, et je crois que le moment émancipateur est indispensable pour la définition de citoyenneté activiste et progressive.
2. Ce point a un lien direct avec ce que vous avez déclaré dans le passé : “nous devons écouter les revendications de la rue”. Mais quel est le principe selon lequel l’activisme de gauche et l’activisme de gauche extralégal acquièrent de la légitimité ?
Le premier constitue certainement une démocratie authentique. Si nous admettons que la vrai démocratie n’existe que lorsque nous sommes réellement responsables, alors nous pourrions probablement nous aussi être d’accord sur le fait que ce que nous avons aujourd’hui, une démocratie électorale et libérale, n’est pas une démocratie réelle. Et c’est un processus qui est en cours. Et nous nous engageons dans ce processus désirant accepter les risques de ce dernier, mais nous sommes également déterminés à ce que la démocratie ne cesse d’exister. Elle a toujours tendance à se démocratiser davantage. Voilà quel est le véritable programme gauchiste.
D’autre part, on trouve l’égalité sociale. Il est impossible de mettre en place une démocratie réelle sans égalité de conditions socioéconomiques de tous les participants à la démocratie. C’est donc ce qui rend le programme gauchiste et la gauche différents de tous les autres programmes idéologiques tel que le libéralisme. Le Libéralisme Contemporain aborde l’égalité en matière de procédure et de juridiction et ne s’attaque pas aux inégalités socioéconomiques, qui déstabilisent l’égalité en matière de procédure et de juridiction. Et, bien évidemment, sans parler du fait que plus vous vous dirigez vers la droite, moins il y aura de démocratie et d’égalité.
– Par conséquent, est-ce bien une approche égalitaire que vous appuyez ?
Oui, sans aucun doute. Il s’agit de l’égalité de participation et de l’égalité de condition socioéconomique.
3. En Grèce, de nos jours, parallèlement à la montée en puissance de l’Aube dorée, il y a comme un parfum de racisme et de xénophobie dans l’air. Quel est le rôle des écrivains et de la littérature dans ce contexte, et pensez-vous que la littérature puisse avoir une contribution curative ?
À vrai dire, vous me posez là une question qui porte sur ma troisième activité, celle d’écrivain. Les écrivains et leurs oeuvres de fiction peuvent-ils donc nous aider à mieux comprendre la situation ? C’est l’éternelle question qui tourne autour du rôle des écrivains en tant qu’activistes et de leur participation active dans la société. Je proviens d’une région des Balkans où nous avons subi toutes les conséquences néfastes du nationalisme, lesquelles sont presque toujours associées au conservatisme et aux politiques de droite. De nombreux écrivains qui se sont déclarés eux-mêmes « les pères de la nation », sont responsables d’immenses tragédies qui se sont produites en ex-Yougoslavie. J’aurais tendance à me méfier des écrivains qui affirment être la voix du peuple. Heureusement, nous ne vivons plus au XIXème siècle, là où l’on pouvait exprimer les « intérêts » de notre « peuple » et créer une nation.
Nous devons toujours nous méfier de toute personne qui avancerait trois incroyables revendications afin de définir « l’âme » de la nation, ou de toutes ces notions obscures pour lesquelles les gens sont prêts à laisser leur vie. Au contraire, nous devrions aborder des questions critiques telles que : pourquoi ce genre de chose arrive-t-il, pourquoi ces gens ont-ils une voix et pourquoi ce sujet est-il important.
Pourquoi le nationalisme d’aujourd’hui prospère-t-il dans les pays qui ont été dévastés par le nationalisme en question ? Proposent-ils réellement une alternative ou les nationalistes et l’extrême-gauche visent-ils plutôt à profiter de la situation actuelle ? Nous avons déjà été témoins de cela dans d’autres régions du monde où la restauration capitaliste ou encore la création d’énormes inégalités étaient, en réalité, suivies par l’ascension du nationalisme et du néo-fascisme. Alors que ce qu’ils accomplissent réellement, c’est : au nom de la nation, détruire leurs propres nations ! Voilà ce dont nous avons été témoins, tout comme l’ex-Yougoslavie l’a été. Au nom des nations, ils ont détruit d’autres nations ainsi que la leur, avec l’objectif de rapprocher les nations sous le contrôle des élites locales qui, bien évidemment aujourd’hui, exploitent ces personnes qu’ils prétendent défendre !
Et ici, il faut être très précis dans l’analyse des phénomènes liés au nationalisme, car le nationalisme n’est pas prêt de disparaître de lui-même. Malheureusement, certaines personnes de gauche se laissent parfois séduire par le discours nationaliste ou alors l’emploient eux-mêmes. Néanmoins, ces personnes devraient toujours se rappeler que notre lutte est internationale et que nous devrions toujours exprimé notre solidarité avec les personnes qui luttent autour de nous. Voilà une véritable position gauchiste. Cela ne veut pas dire que leur nation n’existe pas, ou qu’elle ne soit pas importante; mais que le seul moyen d’émanciper ces nations dépend de si tous les membres de ces nations aspirent à l’égalité des chances et de si toutes ces nations autour de cette nation peuvent également aspirer aux même statut.
4. À quel point la littérature est-elle importante dans le cadre socio-politique ?
Eh bien, les écrivains au XIXème siècle étaient, comme je l’ai mentionné précédemment, les pères des nations. À l’époque de l’Union soviétique, Stalin les a définis avec la célèbre formule “ingénieurs de l’âme humaine” ! Avant, les écrivains étaient importants. Je ne suis pas sûr qu’ils soient aussi importants aujourd’hui. Pourtant, de nombreux écrivais font recours à leur capital social pour traiter de questions d’ordre politique, puis les gens ont tendance à les écouter. Mais qu’importe si l’écrivain est un bon écrivain, nous devrions analysé attentivement ce qu’il/elle déclare publiquement et ne jamais succomber à une forme quelconque d’adoration envers lui uniquement parce qu’il possède un talent littéraire. Je connais pleins de bons écrivains qui sont stupides, mais aussi pleins de mauvais écrivains intelligents. J’ai toujours préféré la compagnie des mauvais écrivains intelligents.
5. Dans le contexte actuel de la montée en puissance de la dynamique de la droite et de l’extrême-droite dans toute l’Europe : pensez-vous qu’il serait efficace d’interdire légalement les partis néo-Nazis ou ceux d’extrême-droite ?
Eh bien, voila une question différente, car cela dépend où vous fixez les limites. Le plus grand succès de l’extrême-droite partout en Europe réside dans le fait que le centre-droit a commencé à adopter ses idées. Et vous pouvez également constater cela en Grande-Bretagne, où l’on est témoins du discours contre l’immigration, y compris de la part du Parti travailliste. Vous pouvez constater qu’ils influencent l’échiquier politique tout entier. Par conséquent, où est-ce que nous fixons réellement les limites pour savoir quels types d’activités sont absolument inadmissibles ?
De toute évidence, la violence et l’usage de la violence vont à l’encontre des lois élémentaires et des droits fondamentaux de l’homme. Personne n’a le droit de descendre dans la rue pour aller tabasser quelqu’un d’autre. Sur le plan politique, quelles conséquences l’interdiction de ces activités aura-t-elle ? La Grèce en est un très bon exemple. Quels conséquences l’interdiction de l’Aube dorée aura-t-elle lorsqu’elle est déjà présente en dehors de leur parti et parmi les peuples ? Dans toutes les régions des Balkans, nous nous confrontons aux mêmes difficultés, par exemple, au renouveau du discours et de la conduite néo-Nazis et néo-fascistes.
Malheureusement, je pense que cela va être l’un des plus grands défis auquel toutes les forces progressistes vont devoir faire face, dans les Balkans et en Europe. Nous sommes témoins d’une fascination progressiste au sein nos sociétés, quelque chose d’impensable il y a cinq ans. Et si nous ne nous mobilisons pas, du moins en faveur d’un dénominateur commun minimum contre le fascisme, même aux côtés des forces avec lesquelles nous ne serions pas complétement d’accord concernant les enjeux économiques et sociaux, alors je pense que nous allons être vaincus. Une combinaison des appareils idéologiques de l’État et des tendances fascistes devraient nous rapprocher et nous conduire directement vers de nouvelles dictatures, qui seront différentes de celles que nous avons vécues dans le passé, en quelques sortes bien plus perfectionnées, mais assez efficaces.
6. Dernière question portant sur le nationalisme : pensez-vous que les fortes tendances au nationalisme qui sont présentes dans les Balkans peuvent représenter un obstacle à l’intégration des flux migratoires et des flux de réfugiés ?
Je vous donnerai seulement un exemple à partir de l’ex-Yougoslavie. Dans les années 90, de nombreux ex-yougoslaves fuyaient vers l’Europe à la recherche d’asile, nous avons donc de l’expérience dans ce domaine. Aujourd’hui, dans ces mêmes pays les gens protestent contre les centres d’accueil de demandeurs d’asile et expriment leurs craintes envers les étrangers. N’est-ce pas ironique et insensé ? Je suis moi-même un réfugié de Sarajevo et j’ai connu ce destin. Mais aujourd’hui, beaucoup de personnes ne peuvent pas comprendre ce que ressentent les peuples qui souffrent et qui proviennent de Syrie, d’Afrique, ou de bien d’autres pays.
Là où le nationalisme s’avère être puissant en tant que vision du monde, c’est lorsque la majorité admet que la vie sociale et politique normale ne sont envisageables que dans une société où tout le monde est identique, tout le monde descend de la même souche, identité, langue, etc. En revanche, je ne pense pas que les peuples des Balkans puissent survivre sans les étrangers. La majeure partie du territoire des Balkans est déserte. Les gens s’en vont. Les villages ainsi que les petites villes sont en train de disparaitre. Par conséquent, nous espérons seulement que les gens continuent de venir habiter chez nous, peu importe d’où ils viennent. Cela est également valable pour l’Écosse.
Hélas, je dis toujours que les immigrants et les chercheurs d’asile ne veulent pas rester en Grèce ou en Croatie. Ils veulent aller en Grande-Bretagne où aux Pays-Bas. Nous devons cerner ensemble comment, dans cette région où nous somme si interconnectés, pouvons-nous créer ensemble un avenir meilleur par le biais de la solidarité et de la coopération mutuelle intensive. Si cela ne se produit pas, alors je ne vois aucun futur pour les Balkans. Malheureusement, ce dont nous avons été témoins jusqu’à présent, c’est d’une fragmentation continuelle, que ce soit territoriale ou sociale. Cela s’harmonise parfaitement avec les tendances du capitalisme mondiale. Le fait d’avoir des États faibles et des économies faibles vous permet d’exploiter ce qui peut être exploité.
Mais en même temps, cela nous renforce dans notre position périphérique. Avant même de pouvoir revendiquer – et nous le revendiquons toujours – que nous sommes une sorte de semi-périphérie – seulement j’ai bien peur que nous ne le soyons plus -, cela deviendra un endroit avec quelques ressources naturelles qui seront exploitées et où l’on pourra trouver de la main-d’oeuvre bon marché. Aucune promesse n’est formulée sur un avenir meilleur dans les Balkans, sur la croissance ou sur un meilleur système d’éducation. Ils n’ont pas besoin de personnes instruites, ils n’ont pas besoin de sociétés possédant une culture et des idées florissantes. Il y aura sûrement une sorte d’administration locale qui coopérera efficacement auprès du capital mondial. J’ai maintenant l’impression qu’il s’agit d’une dystopie, mais ce n’est pas le bon moment de concrétiser nos visions utopiques, nous devons d’abord combattre cette réalité très dystopique qui existe déjà.
7. Il est assez probable que le Parti radical de gauche, SYRIZA, rentre en fonction après les prochaines élections parlementaires grecques. Pensez-vous que c’est l’occasion pour qu’un effet domino de la gauche se produise en Europe ? Pensez-vous que ce que propose SYRIZA : une démocratie réelle et une politique économique égalitaire, pourrait être envisageables à l’intérieur de ce système à la fois très complexe et profondément enraciné dans le capitalisme ?
Indépendamment des débats qui se déroulent en Grèce, surtout du côté de la gauche, si SYRIZA gagne les élections, c’est-à-dire s’il fait recours à la voie institutionnelle jusqu’au pouvoir, cela représentera une victoire significative pour la gauche européenne. Cela montrera également qu’il existe une alternative qui a été élaboré contre l’actuel régime d’austérité que nous avons en Europe. Je ne suis pas certain en ce qui concerne l’effet domino, car les contextes sociaux en Europe sont différents, et SYRIZA semble être le seul parti politique de gauche possédant un soutien populaire aussi fort au sein du paysage européen.
Cependant, le fait d’avoir un gouvernement qui ne propose peut-être pas un programme révolutionnaire, mais qui propose à la place un programme afin de réparer les dommages sociaux et reconstituer l’économie nationale, représente une grande avancée vers un changement social et politique révolutionnaire dans le futur. Je serais donc ravi que l’on puisse voir ce jour arriver et de pouvoir ensuite réfléchir à quelle sera la prochaine étape. De toute évidence, nous devons réduire notre dette, quant à la Grèce, elle devrait montrer aux pays périphériques comment sortir du piège de la dette : en refusant de payer une dette illégitime, ou en demandant une marge de sécurité sur la dette accumulée par les précédents gouvernements.
C’est une démarche importante et courageuse à accomplir. De nouveau, la Grèce ne peut pas y parvenir toute seule. Nous avons besoin d’alliances européennes beaucoup plus larges. Il existe pourtant des risques liés à l’éventuelle mise en place d’un gouvernement dirigé par SYRIZA, dans le cadre d’un environnement hostile du côté de l’administration de Bruxelles et des profonds appareils idéologiques de l’État grec. SYRIZA ne gagnera que si les mouvements populaires continuent de soutenir son programme, et si SYRIZA continue de répondre aux exigences des mouvements populaires. C’est le seul remède, je crois, susceptible de fonctionner dans la situation actuelle. Regardless of intra-Greek debates and especially on the left, SYRIZA winning the elections, meaning, using the institutional road to power, will be a significant victory for the European Left. It will, also show that there is an alternative that has been thought through to the current austerity regime that we have in Europe. I’m not sure about the domino effect, because social contexts in Europe are different, and SYRIZA seems to be the only left political party at the European landscape with such a strong popular support.
However, having a government that has, maybe not a revolutionary programme, but rather a programme of repairing social damage, and reconstructing domestic economy is a big step further towards a possible revolutionary social and political change in the future. So, I would be happy to see this and then for us to thinking what’s the next step. Clearly, we have to deal with the debt, and Greece must show a way how peripheral countries might get out of the debt trap by refusing to pay illegitimate debt, or demanding a haircut on the accumulated debt by previous governments.
This is an important and courageous step to be done. Again, Greece cannot do it on its own. We need much wider European alliances. However, there are risks related to the possible SYRIZA government, in the context of hostile environment, from the Brussels administration and the deep state apparatus in Greece. SYRIZA will win only if the popular movements continue to support its programme and if SYRIZA continues to respond to the demands of popular movements. This is the only formula, I think, that could be successful in the current situation.
8. En Grèce, la théorie des deux extrêmes donne actuellement lieu à un intense débat. Les forces politiques militantes et la majeure partie de la presse essayent généralement d’associer SYRIZA ainsi que les mouvements gauchistes au terrorisme. Pensez-vous que cet assaut de propagande affectera le résultat des élections ?
En fait, c’est un vieux tour de passe-passe. Les forces conservatives qui sont si étroitement liées à l’extrême-droite sont prêtes à déclarer l’état d’urgence afin de protéger la loi et l’ordre. Pour y parvenir, ils ont besoin non seulement de l’Aube dorée, mais aussi d’inventer un ennemi de gauche, pour bien montrer que s’ils n’interviennent pas, une nouvelle guerre civile éclatera.
En même temps, durant des années ils ont soutenu le terrorisme de droite – massacrer des êtres humains revient à dire terrorisme – et ils inventent d’énormes menaces de gauche en citant à titre d’exemple les incidents causés par de petits groupes, ou comme ce que nous avons connu en Italie, des incidents causés au nom de la gauche, qui en réalité ont été causés par les services secrets liés à la droite. Nous avons donc déjà connu cela. Certaines personnes doivent être tentées à l’idée de recourir à la violence, en général au sein de petits groupes sans aucun soutien populaire. Dans le passé, cela ne s’est pas avéré être une bonne stratégie politique.
Les petits groupes ne devraient pas être autorisés à empêcher tous les représentants de la gauche à faire entendre leur voix, quel que soit leur programme. Heureusement, nous n’en sommes pas là ; seulement, la machine à propagande souhaite effrayer la classe moyenne pour ne pas qu’ils votent pour SYRIZA. Ils ne proposent aucunement de mettre fin à cette dévastation (économique), mais les gens ont peur qu’en votant pour n’importe quel changement radical, cela empire davantage la situation. Nous verrons bien si les gens se laissent intimider par ces tactiques. J’espère que dans le cas de la Grèce, cette propagande ne fonctionnera absolument pas.
9. Permettez-moi de conclure sur une question personnelle. En dehors de votre travail universitaire reconnu, vous êtes l’auteur de deux romans. Ces deux livres ont connu un large succès et vous ont permis de remporter des prix de littérature en Croatie, et ont été très largement traduits à l’étranger. Peut-on s’attendre à découvrir autre chose de nouveau en ce qui vous concerne ?
Je devrais peut-être mieux répondre à cette question en prononçant quelques mots sur ces romans, parce que les gens en Grèce ne doivent sûrement pas être au courant. Je dirai seulement quelques mots sur la littérature et sur la relation que j’entretien avec elle, plutôt que de promettre quelque chose, (parce qu’il ne faut pas croire ce que disent les écrivains !). Pour moi, la littérature est quelque chose qui contient un savoir inébranlable permettant à nos tentatives de « découverte » et de compréhension du monde de fonctionner.
Nous pourrions expérimenter et nous expérimentons déjà cela par le biais de la littérature. Et ce n’est pas seulement quelque chose qui date de l’époque. La littérature exerce une forte influence sur notre compréhension, et sur notre faculté de pouvoir nous comprendre nous-mêmes, ainsi que ceux qui nous entourent. Dans mon cas, lorsque j’ai quelque chose à dire, je tâche de répondre à la question : sous quelle forme puis-je dire ce que j’ai à dire. Lorsque je désire ainsi savoir ce qu’il se passe réellement, la recherche et la science ont alors tendance à me sembler plus fiables. Vous décidez de construire vos arguments selon la manière la plus rationnelle possible et qui est basée sur une recherche rigoureuse.Et c’est lorsque vous désirez faire une remarque afin d’influencer et d’essayer de changer les choses que vous vous mettez encore plus en mode activiste.
Toutefois, si vous souhaitez comprendre la manière dont les gens vivent la réalité jour après jour, ou encore qu’est-ce qui influence, par exemple, la réalité politique, sociale et économique ; alors il n’y a qu’un seul moyen, et celui-ci est fictif. À cet égard, la combinaison de ces trois activités : l’activisme politique et social, le travail de recherche universitaire et la création littéraire ; m’aident, je pense, à compléter mon oeuvre intellectuelle générale. Je la considère comme une oeuvre intellectuelle unifiée qui simplement adopte différentes expressions.