May 24, 2011
Pour une UE des droits citoyens
Par Niccolo Milanese
Traduit par Maxence Salendre
Au cours des dernières années, de nombreux pays membres de l’Union Européenne ont fait machine arrière sur les droits fondamentaux, un phénomène qui a alimenté de nombreux débats.
L’article 2 du traité de l’Union Européenne énonce que « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ».
La signification de ces valeurs a été formulée de manière encore plus claire dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne qui fut introduite par le Traité de Lisbonne et s’applique à tous les citoyens de l’UE.
Les pays souhaitant rejoindre l’Union Européenne doivent démontrer qu’ils remplissent les « critères de Copenhague » qui ont supposément été instaurés afin de s’assurer que les valeurs de l’Union Européenne exposées dans les traités soient respectées dans les nouveaux états membres. Le cas de l’Italie concernant la liberté de la presse et, plus récemment, celui de la Hongrie concernant la réforme constitutionnelle, l’indépendance du pouvoir judiciaire, les droits des minorités ou (à nouveau) la liberté de la presse ont posé le problème de ce que certains appellent le « dilemme de Copenhague ». Un paradoxe qui rend l’Union Européenne incroyablement stricte quant aux critères d’entrée concernant la démocratie ou les droits fondamentaux des Etats candidats mais ne lui fournit aucun mécanisme de contrôle ou de sanction pour contrôler ses propres Etats membres. Le seul outil dont dispose l’UE est l’article « 7 procédure » du Traité qui autorise la suspension du droit de vote au Conseil Européen pour le pays fautif. Cette « option nucléaire » n’a cependant jamais été mise en place et nombreux sont ceux qui considèrent la procédure comme étant trop vague, trop radicale et trop dangereuse politiquement. L’instauration d’une procédure plus claire, plus indépendante ainsi que davantage de sanctions a été réclamée. Ces demandes émanent du Parlement Européen mais également de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Danemark et de la Finlande.
Le respect des droits fondamentaux dans toute l’Europe est clairement dans l’intérêt de tous les citoyens européens. Un Etat qui revient sur ces droits pose problème non seulement pour ses citoyens mais également pour toute l’architecture démocratique de l’UE qui est fondée sur une égalité totale à tout niveau. Un Etat non-démocratique qui possèderait une voix (et un droit de veto) au Conseil Européen serait une épine dans le pied des autres Etats membres. L’article 7 du traité européen, quoique peu efficace dans ses fonctions de garde-fou, soutient une logique constitutionnelle essentielle : le respect des droits fondamentaux – tels qu’ils sont entendus dans l’Union Européenne – est intimement lié au respect de la démocratie.
La création d’un “Comité de Copenhague” surveillant le respect des droits fondamentaux dans les pays de l’UE et alertant le Conseil en cas de dysfonctionnement constitue l’une des propositions mises en avant pour résoudre le dilemme de Copenhague. Ce comité a été amplement discuté dans le rapport Tavares(basé sur le cas de la Hongrie) et est soutenu par Jan-Werner Mueller, professeur à l’Université de Princeton.
Cette proposition a l’avantage d’appeler à la création d’un comité n’ayant qu’une prérogative ce qui lui confèrerait une rapidité d’action nécessaire en cas de dysfonctionnement. Pour cette raison, le soutien à sa création est primordial. Cette proposition a, en revanche, l’inconvénient d’appeler à la création d’une nouvelle institution européenne pour un objectif dont la nécessité semble limitée. De la même manière, la création d’une telle institution risque de normaliser une vision apolitique des droits fondamentaux de l’UE qui pourrait être remise en question. C’est là l’un des points dont je voudrais discuter en détail.
L’Union Européenne possède déjà une Agence des Droits Fondamentaux dont le siège est situé à Vienne. Cette Agence a un mandat simple : « fournir aux institutions et aux autorités compétentes de la Communauté [Européenne] et de ses Etats membres, lors de la mise en place d’un nouveau texte législatif communautaire, toute l’information, l’assistance et l’expertise nécessaire concernant les droits fondamentaux afin de les aider à respecter pleinement ces droits lorsqu’ils formulent ou mettent en place des politiques publiques dans leurs domaines de compétences respectifs » (Article 7, Régulation établissant l’Agence des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne). L’objectif principal de l’Agence est donc de fournir l’expertise et l’information nécessaires aux états membres et non de les contrôler ou de servir de signal d’alarme. Les défenseurs du Comité de Copenhague soulignent l’absence de volonté politique pour changer le mandat de l’Agence des Droits Fondamentaux en faveur d’un rôle de surveillance. Ils proposent dès lors la création d’une nouvelle institution (qui pourrait fusionner avec l’Agence des Droits Fondamentaux à une date ultérieure). Une question essentielle reste cependant en suspens : existe-t-il une volonté politique suffisante en Europe pour créer une nouvelle institution dont les pouvoirs de contrôle seront effectifs ?
A l’époque de la création de l’Agence des Droits Fondamentaux, le présupposé de départ était simple : le respect des droits fondamentaux ne s’auto-réalise pas et, dès lors, l’apprentissage mutuel entre les Etats membres et grâce aux activités de conseil externe sont bénéfiques aux Etats souhaitant promouvoir les droits fondamentaux. La promotion des droits fondamentaux est un domaine dans lequel nous serions en mesure d’espérer que les Etats de l’UE, par leur expérience, s’améliorent. Il existe en Europe des mécanismes législatifs visant à réparer les torts commis aux personnes ayant souffert de la perte d’un ou plusieurs droits fondamentaux. L’idéal restant évidemment l’établissement d’une société dans laquelle aucun de ces droits ne soit restreint ou déchu.
Il est également essentiel de savoir si la compréhension des droits fondamentaux(et non uniquement les stratégies mises en place pour les promouvoir) évolue avec le temps. L’histoire du développement des droits de l’Homme, depuis la Révolution Française jusqu’à nos jours semble le démontrer. Les valeurs de l’UE apparaissant dans l’article 2 du Traité sont ambigües et appellent à diverses interprétations. La définition d’une société “caractérisée par la justice” est une interrogation sans fin qui ne trouvera probablement jamais de réponse. Nous ne pouvons qu’espérer que nos réponses approximatives s’améliorent avec le temps. Notons qu’il n’existe pas qu’une seule interprétation de ce qu’est une société juste mais que plusieurs interprétations sont possibles et que nous devons apprendre de l’Histoire – et notamment des exemples internationaux – la manière d’améliorer ces interprétations. Bien que cela soit nécessaire pour les concrétiser, les promouvoir et les protéger, il est toutefois difficile de séparer la compréhension de ces droits fondamentaux abstraits des arrangements, stratégies et autres calculs politiques.
La compréhension de l’évolution et de l’extension des droits fondamentaux passe, selon par moi, par l’activisme civique. Les exemples du mouvement féministe, des campagnes LGBT, des campagnes pour le droit des enfants, pour l’accès à internet ou à l’éducation ont complètement révolutionné l’idée que se faisaient les citoyens d’une société équilibrée, juste et équitable. Ces initiatives civiques sont, de plus, profondément politiques puisqu’elles réclament des droits nouveaux pour de nouveaux sujets politiques. Le futur de l’Europe devrait passer par une intégration politique renforcée afin que les citoyens bénéficient de droits toujours plus développés. Les droits fondamentaux ne sont pas gravés dans le marbre à jamais sinon en constante évolution grâce au débat politique et à l’apprentissage de l’action politique. L’Agence des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne pourrait précisément faciliter cet apprentissage politique, que l’on pourrait également définir comme le désir d’établir une démocratie fonctionnelle. Les critères de Copenhague ont été mis en place afin de s’assurer que les Etats soient ouverts à cette sorte de processus politique à savoir que la démocratie fonctionne à la fois de manière “interne” (par le débat entre ses citoyens) et de manière “externe” (en apprenant par et en s’engageant avec d’autres Etats).
Le danger résultant de la séparation théorique entre le Comité de Copenhague et l’Agence des Droits Fondamentaux est de donner l’impression que l’UE est un club d’Etats statiques dont les règles (contrôlées et garanties par le Comité de Copenhague) ne changent jamais alors même qu’elle devrait être un voyage commun, un processus dans lequel les droits des citoyens évoluent et s’améliorent notamment grâce à l’action et à l’engagement politique des citoyens eux-mêmes. En nous focalisant trop sur les dangers d’une « machine arrière » des Etats, nous prenons le risque de ne pas défendre les évolutions que nous souhaitons voir mises en place. Permettre aux citoyens d’agir à travers l’Europe est également le meilleur moyen pour prévenir tout risque de « machine arrière » provoqué par les comportements réactionnaires et protectionnistes. Cette perspective ne peut être défendue qu’en abordant de front la question du rôle du Comité de Copenhague (ou de toute autre institution similaire chargée de contrôler les risques de régression) et la question du futur rôle de l’Agence des Droits Fondamentaux pour promouvoir le progrès et l’avenir des droits fondamentaux en Europe.