Mar 4, 2015
Un serment du Jeu de Paume pour l’Europe
Cet article a été publié sur OpenDemocracy
L’Europe a historiquement toujours été le phare de l’expérimentation politique. Est-elle désormais devenue structurellement incapable de se reformer?
La modernité européenne a toujours été définie par la concurrence entre un modèle économique et un modèle politique tant au sein des pays européens qu’entre eux. La victoire d’un parti ouvertemenet anti-austérité en Grèce, élu avec l’objectif clair de renverser le status quo risque d’illustrer le fait que l’Europe est devenue incapable de tout changement structurel.
Les négociations entre la Grèce et l’Eurogroupe ont permis d’allonger le programme de renflouement de quatre mois en faisant des concessions sociales minimales au gouvernement grec qui les réclamait. Aucun compromis sur une restructuration de la dette n’a été atteint.
Nombreux sont les membres de Syriza, de Stathis Kouvelakis à Costas Lapavitsas, à s’être servis de l’anti-compromission des partenaires européens sur tout changement structurel en Europe pour mettre en avant la sortie de l’euro et un défaut de paiement de la dette nationale comme seule possibilité pour la Grèce de fournir l’alternative économique promise à ses électeurs. Lors d’un rendez-vous du comité entral de Syriza la dernière semaine de février, le groupe Plateforme de Gauche a été battu de justesse avec 45% des votes contre 55%.
En Espagne, Podemos se bat pour atteindre un équilibre entre ses demandes pour regagner sa souveraineté contre « l’Europe austérité » et une rhétorique plus conciliatoire sur les possibilités de transformer l’UE. Il n’est dès lors pas étonnant que des intellectuels tels que Toni Negri appellent Podemos à s’en tenir à une ligne radicale mais européenne.
Nous sommes d’accord, l’Europe ne changera pas en un jour. Sandro Mezzadra et Etienne Balibar ont raison de mettre en avant la nécessité d’avoir un changement politique de longue durée dans l’Union européenne, mettant en avant que Syriza « a gagné du temps » et que ce temps doit maintenant être utilisé pour créer une « rupture constituante » avec le cours actuel de l’histoire européenne.
Mais combien de temps les citoyens angoissés continueront de croire en la possibilité d’un changement en Europe ? Et surtout, y’a-t-il seulement un point correct dans le fait de critiquer que l’organisation institutionnelle de l’UE la rend incapable de tout changement structurel ?
Pas de changement politique sans changement des institutions
La vision à long-terme de l’Allemagne semble être celle d’une Europe exportatrice dans laquelle le capital humain, la modération des salaires et des institutions efficaces compensent les avantages compétitifs des pays émergents. Mais nombreux sont eux qui s’accordent sur le fait que cette politique brutale de désendettement imposée aux pays périphériques n’est pas une solution économique sensée.
Une économie compétitive, comme nous l’enseigne l’Allemagne, est basée sur un investissement dans l’éducation et la recherche, sur des relations de travail innovantes, sur une transformation écologique et énergétique, sur une bonne gouvernance et des principes de légalité. Non sur l’appauvrissement et la paupérisation.
Pourquoi donc la première économie d’Europe insiste sur l’utilisation des politiques économiques les moins favorables pour le reste ?
D’un point de vue de gestion des risques, il est compréhensible que dans une confédération monétaire sans union politique ou économique il y ait peu d’envie de mutualiser le risque que des pays puissent rester « semi-souverains ». Le Conseil Européen est marqué par les réformes informelles promises entre les nations, où la structure décisionnelle est principalement basée sur l’accord mutuel entre les chefs d’états et où le seul mécanisme contraignant provient des objectifs fiscaux communs et des amendes financières que leur non-respect entraîne.
Il n’est pas surprenant que le déficit et l’objectif de la dette soient devenus des fétiches dans l’Union européenne. Non pas seulement en raison du jeu de mots allemand moral entre « dette » et « péché » – Schuld –mais en raison de la perception qu’ils représentent la seule arme « constitutionnelle » dans une Confédération faible d’Etats semi-souverains. La déclaration de Yanis Varoufakis à la sortie de sa première réunion de l’Eurogroupe en dit long sur cette attitude : « L’une des grandes ironies de l’Eurogroupe est que l’on n’y discute aucunement de macroéconomique. Tout est basé sur les règles. »
La nouvelle Commission Européenne a peut-être introduit un minimum de pouvoir politique par son insistance sur la « flexibilité » mais celle-ci ne s’éloigne pas d’un jeu de quelques dixièmes de points de pourcentage sur ces objectifs fiscaux.
Dans ce cas, les partisans purs et durs de Syriza ont un argument : il est difficile d’imaginer une situation dans laquelle un changement relatif de l’équilibre des pouvoirs au sein du cadre institutionnel actuel – disons l’élection d’un deuxième parti-austérité dans un autre pays – apporterait tout changement significatif dans les politiques de l’UE sans changement dans sa structure décisionnelle. Les résultats les plus réalistes sont soit un ajustement très modéré, soit la paralysie du système décisionnel après l’effondrement de l’accord commun.
Sans la transformation de l’Union européenne ou au moins de l’Eurozone en une union politique démocratique d’états fédéraux qui partagent une politique fiscale, sociale et économique commune, nous continuerons à manquer « d’espace » dans lequel une vision politique peut être débattue avec la pollisibilité d’un changement substantiel dans l’orientation de la politique. Et nous atteindrons un moment où « l’option nationale » d’une sortie de l’UE et d’un défaut de la dette – que ce soit par l’extrême-droite ou par le « socialisme en un pays » de gauche – commencera à plaire de plus en plus, et ce avec raison.
Comme le souligne Thomas Piketty dans son entretien avec Pablo Iglesias, nous devons dépasser l’hypnose collective de l’impossible modification des traités. Il existe en principe un alignement singulier de nos intérêts pour un changement institutionnel. Ce n’est pas juste dans l’intérêt de la gauche ou des pays les plus endettés de démocratiser le processus décisionnel économique et d’ouvrir la porte à des politiques sociales et économiques européennes communes. Il est également dans l’intérêt des secteurs économiques les plus porteurs qui mettent en danger leur développement qui verrouille un système de gouvernance qui perpétue la plupart du temps un mauvais système décisionnel.
Un Jeu de Paume pour l’Europe
Le 20 juin 1789, en France, des membres du Tiers-Etat quittèrent les Etats Généraux, se renommèrent « Assemblée Nationale » et jurèrent, sur un terrain de jeu de paume, « de ne pas se séparer avant d’établir une constitution pour le royaume ».
Le Serment du Jeu de Paume marque un changement radical dans la dynamique politique de la Révolution Française. La requête n’était plus seulement celle d’un meilleur système politique mais plutôt de la refondation du système de gouvernement du pays qui semblait incapable de répondre aux requêtes de la majorité de ses citoyens and qui était structurellement lié aux privilèges ardemment défendus de ses classes supérieures.
L’Europe aujourd’hui a besoin d’un Serment du Jeu de Paume. Nos leaders nationaux, en commençant par François Hollande et Matteo Renzi doivent dépasser la simple recherche d’une flexibilité minimale de leur budget et poser fermement, depuis le cœur du Conseil Européen, la question de l’intégration et la nécessité d’une grande refonte réformatrice de l’UE et de l’Eurozone. Les partis européens, le Parlement européen en tant qu’organe doivent être tenus responsables de leur échec à parler de manière unanime sur ce point même à travers une action politique non-conventionnelle.
Les partis anti status quo tels que Podemos, Sinn Fein ou Syriza ont tout à gagner à développer et à défendre de manière publique des positions communes à une république européenne alternative. Les balbutiements de mouvements radicaux transnationaux tels que Blockupy ne peuvent pas se contenter d’attaquer le régime de l’asutérité : ils doivent devenir à la fois plus radicaux et proposer davantage, demander une reconstruction constitutionnelle de l’espace européen.
Traducteur: Maxence Salendre