Feb 12, 2013
N’oubliez pas l’espace. L’art contemporain chinois au festival Transeuropa 2012
Par Luigi Galimberti Faussone
Traduction: Alexis Gratpenche
Quelles sont les différentes sortes d'espace culturel en Chine et qu'en est-il de leur gestion ? Quel rôle joue les artistes dans l'autogestion de la production artistique ? Quel lien existe-t-il entre l'artiste, la transformation de l'espace public, la surpopulation et l'exploitation des ressources naturelles en Chine ? Comment peut-on définir le rôle de l'artiste face à l'espace public ?
Voilà le genre de questions qui ont été au cœur de la visite en Italie de cinq artistes et curateurs chinois, invités d'Alternatives Européennes à l'occasion du festival Transeuropa 2012. Boliang Shen (curateur et journaliste, Beijing), Ma Yongfeng (artiste, Beijing), Ni Kun (curateur, Chongqing), You Mi (artiste, curateur et écrivain, Beijing) and Zhou Xiahou (artiste, Shanghai) ont visité les villes italiennes de Rome, Prato et Bologne avec pour objectif de confronter les points de vue sur les espaces d'expression et de production artistiques européens et chinois.
La première rencontre a eu lieu le 9 mai à Rome, à MACRO, qui compte parmi les musées d'art contemporain les plus importants d'Italie. Le modérateur de la discussion publique était le directeur adjoint d'Alternatives Européennes, Lorenzo Marsili, tandis que Maria Alicata, curateur au sein de MACRO, a introduit la discussion. Le débat a tourné autour de la question du développement urbain effréné – et hors de tout contrôle – en Chine, facteur de grands changements géographiques et psychologiques pour beaucoup de communautés affectées par ce genre de transformation brutale du paysage. Parmi les nombreuses prises de parole, la présentation du projet Organhaus et de ses activités par son fondateur, Ni Kun, mérite qu'on s'y attarde. Organhaus est le premier espace indépendant géré par des artistes dans ce vaste ensemble urbain qu'est Chongqing, mégalopole d'une trentaine de millions d'habitants située dans le Sichuan, dans le Sud-ouest de la Chine. Ni Kun a été à la tête de plusieurs projets dans lesquels étaient impliqués des habitants de petits villages dont l'identité a été remise en question par les relocalisations que cause l'urbanisation galopante, phénomène qui n'est pas sans conséquence pour la campagne chinoise. Son engagement indiscutable sur des questions publiques de premier rang a démontré l'envergure et l'importance du rôle que peuvent jouer les artistes chinois aujourd'hui.
Lors de leur séjour à Rome, outre le débat public à MACRO, les artistes et curateurs chinois ont pris part à des rencontres informelles, comme avec les occupants du Teatro Valle. Boliang Shen, journaliste et curateur, et Ma Yongfen, artiste, ont notamment exposé leur pratiques et leurs expériences dans l'autogestion des espaces de production culturelle, en abordant en particulier le problème du bien commun, un combat pour lequel le Teatro Valle Occupato est en pointe dans le contexte culturel européen. Tous les participants se sont ensuite rendus à Prato, dans les environs de Florence, où ils ont pu visiter l'exposition “Moving Image in China”, vaste rétrospective sur l'art audiovisuel chinois accueillie par l'avant-gardiste Centro per l’arte contemporanea Luigi Pecci. Les participants – et notamment Zhou Xiahou, pionnier dans le monde chinois de l'audiovisuel, dont le travail était présenté à cette occasion – ont été accueillis par Marco Bazzini, directeur du Centro Pecci, qui leur a ensuite fait découvrir l'exposition, et avec qui le groupe a pu débattre d'un grand nombre de questions sociales et artistiques, comme par exemple les relations entre la communauté artistique locale et les habitants chinois de Prato, qui d'après les estimations représentent presque un tiers des 180 000 habitants de la ville.
Les artistes et curateurs chinois ont ensuite fait la dernière étape de leur voyage à Bologne, le temps d'un week-end rempli, du fait des nombreux événements du festival Transeuropa. Le vendredi 11 mai, le Teatrino Clandestino, lieu renommé de la culture underground à Bologne, et sa directrice, Fiorenza Menni, ont accueilli une discussion publique. Outre les participants chinois, Elvira Vannini (conservatrice et maître de conférences à NABA, Milan) et Luigi Galimberti Faussone, en charge de modérer le débat, se sont également joints à la table ronde. Ce deuxième débat a tourné autour des alternatives et des espaces gérés par les artistes, et les participants ont fini par confronter leurs expériences plus ou moins récentes en Chine comme en Europe : il a par exemple été question de Forget Art, collectif bien établi de Beijing dirigé par Ma Yongfeng, ou bien de l'expérience audacieuse, quoique brève, qu'a tenté MACAO en occupant un gratte-ciel du centre-ville de Milan, racontée par Elvira Vannini. Le lendemain, alors que les rues milanaises étaient bondées, qu'il s'agissait de la foule venue assister à l'enterrement public d'un homme politique local qui s'était suicidé quelques jours plus tôt, ou de manifestants en colère réunis pour protester contre les réductions des dépenses sociales décidées par le nouveau gouvernement, l'artiste Ma Yongfeng a pris la parole en public sur la Piazza Verdi, une place centrale du quartier de l'université. Aidé par une demi-douzaine de volontaires, il a entrepris d'écrire des slogans sur des bannières et des pancartes à la bombe noire et rouge. Grâce à ces slogans, qui avaient surtout à voir avec des questions brûlantes en lien avec l’actualité politique et sociale, Ma Yongfeng a tenté d'impliquer les passants ainsi que les manifestants afin d'initier un dialogue spontané sino-européen autour de la politique par le biais de l'art.
La participation de ces cinq artistes et curateurs chinois au festival Transeuropa fait partie d'un projet plus large, Transnational Dialogues, qui a pour prochaine étape de faire circuler une caravane de chercheurs dans les villes de Beijing, Shanghai et Chongqing. Ce projet, prévu pour début octobre 2012, est constitué d'un grand nombre d'artistes, de chercheurs, de conservateurs et de penseurs originaires de Chine et d'Europe qui participeront à des recherches et à des activités afin de cartographier les pratiques culturelles novatrices, d'entretenir des liens existants ou d'en établir de nouveaux, de se documenter et de faire perdurer les échanges qui existent entre les esprits novateurs de ces deux régions. Ces activités, et d'autres projets en préparation, font partie des moyens choisis par Alternatives Européennes pour sortir du contexte européen et créer des partenariats réciproques productifs entre les artistes et les espaces de production artistique, en échangeant et en collaborant en Europe, en Chine et en Asie du Sud-Est.
Articles de presse :
“Non dimenticare lo spazio. Macro orientale, a Roma si discute di ruolo pubblico dell’artista e di spazi culturali in Cina” (on the talk at MACRO, Rome, 9th May 2012), Artribune (en italien)
“Don't forget space” (on the talk at MACRO, Rome, 9th May 2012), by Andrea Pira, China Files (en italien)
“Seduti sui cuscini, tra Europa e Cina” (on the talk at Teatrino Clandestino, Bologna, 11th May 2012), by Gian Paolo Faella, Transeuropa Journal (en italien)
“It’s about the Commons – Witnessing Occupy Movements and Street Demonstrations in Italy”, by Boliang Shen, ARTINFO China (en mandarin)
“La Take the Square Parade invade le strade di Bologna!” (on the protests taking place next to Ma Yongfeng's performance in Bologna, 12th May 2012), Univ-aut.org (en italien)