May 28, 2025
Entretien avec Marion Pillas de La Déferlante : un espace en ligne pour embrasser la révolution féministe
Dans un paysage médiatique souvent dominé par les discours dominants, La Déferlante s’impose comme un magazine féministe audacieux et indépendant, engagé dans l’analyse des intersections entre genre, origine et classe sociale. Lancé en 2019, le magazine est rapidement devenu un espace incontournable de réflexion approfondie, de débat critique et d’expression artistique autour des enjeux féministes et antiracistes. Dans cet entretien, Marion Pillas, co-rédactrice en chef, partage l’histoire de la création de La Déferlante, sa vision éditoriale et les défis de la construction d’un média véritablement indépendant. Nous explorons également la manière dont le magazine aborde les mutations culturelles et politiques actuelles, ses ambitions pour l’avenir et son engagement à favoriser la joie et la résilience collectives à travers des événements communautaires.
- Qu’est-ce qui vous a inspiré, vous et votre équipe, à créer La Déferlante, et comment l’idée a-t-elle évolué jusqu’au magazine qu’elle est aujourd’hui ?
Début 2019, quand a surgi l’idée de la revue, nous voulions avant tout créer un espace qui puisse témoigner de l’effervescence éditoriale sur les questions féministes et les questions de genre et où différents points de vue pourraient converger. Il nous est assez vite apparu qu’une revue papier pourrait nous permettre de documenter l’époque post-MeToo et servir de « boite à outils féministe » pour comprendre et embrasser cette révolution. Nous avons ainsi commencé à travailler assez rapidement sur la forme qu’elle pourrait prendre et sur le type de textes, d’illustrations et de photos qu’elle pourrait proposer.
En parallèle et avant même la publication du premier numéro nous avons lancé une newsletter sur le genre et les féminismes. Elle nous permet d’apporter des éclairages d’actualité et de maintenir le lien avec la communauté solide qui s’est formée autour de la Déferlante depuis sa création.
- Comment choisissez-vous les thèmes et les sujets de chaque numéro, et quel est votre objectif à travers la direction éditoriale ?
Les thèmes de dossiers et des articles naissent de différentes manières, soit d’une lecture, soit d’une rencontre que nous soumettons lors de la réunion éditoriale chaque jeudi. Souvent, ils émergent aussi lors des réunions de notre comité éditorial composé de journalistes, de chercheur.euses et d’activistes. Parfois encore, ils naissent de propositions envoyées par des journalistes et/ou des auteur·ices. Sur cette base, nous concevons des dossiers thématiques : Naître, manger, se battre, avorter, résister à l’extrême droite, éduquer et bientôt s’informer ou soigner… Notre objectif est de montrer comment les questions de genre, de classe et d’origine socio-ethnique viennent se nicher dans tous les interstices du quotidien. Chaque action (et c’est pour cela que les titres de nos dossiers sont des verbes à l’infinitif), chaque domaine de nos vies est traversé par des logiques de domination que nous avons à cœur de révéler et d’analyser.
- Comment choisissez-vous les thèmes et les sujets de chaque numéro, et quel est votre objectif à travers la direction éditoriale ?
Il est primordial puisque qu’avec les productions culturelles, les médias sont l’interface via laquelle la plupart des citoyen·nes se familiarisent avec le monde et l’actualité. Proposer des points de vue féministes intersectionnels, décortiquer les logiques d’oppression che j’évoquais toute à l’heure, c’est une manière de remettre en cause les récits dominants formatés par des biais racistes, sexistes et classistes. Depuis quelques années, voire quelques mois, la montée des idées réactionnaires s’accélère partout dans le monde. Les opinions sont très perméables aux fausses informations, relayées notamment par d’autres médias appartenant à des hommes d’affaires proches de l’extrême droite (ou carrément de l’extrême droite). En tant que média indépendant féministe et antiraciste nous avons plus que jamais le devoir de débunquer, de mettre en perspective mais sutout de proposer d’autres futurs possibles.
- Quels sont les plus grands défis auxquels vous êtes confrontée en tant que co-rédactrice en chef d’un magazine féministe indépendant, et comment les surmontez-vous ?
En référence à ce que j’ai dit dans une réponse précédente, notre principal défi actuel est de continuer à construire notre indépendance éditoriale et donc économique afin de continuer, à notre échelle, à contrebalancer les récits racistes, misogynes et transphobes produits par une partie de la classe politique la classe politique et relayés par les médias réactionnaires. Notre enjeu est donc tout autant économique qu’éditorial. Nous avons besoin de pérenniser notre modèle d’indépendance sans publicité et sans actionnaire principal. Et pour cela, il nous faut continuer à chercher de nouvelles·aux lecteur·ices et les convaincre, par la qualité de nos contenus, de nous suivre et de nous soutenir sur le long terme, en s’abonnant à la revue par exemple.
- Quelles tendances ou évolutions dans le discours culturel et politique féministe vous passionent actuellement, et comment espérez-vous que La Déferlante contribuera à ces conversations ?
Je suis un peu gênée par le terme d’excitation car ce n’est pas ce qui nous meut à la Déferlante. Par ailleurs il n’y a rien d’excitant à voir des enfants bombardés, des populations affamées, des citoyen·nes discriminé.es, des personnes privées de leur droit à disposer de leurs corps…Tout cela est tragique, pas passionnant et c’est important de le dire.
Il y a tant de sujets cruciaux à suivre en ce moment. : la panique morale construite de toutes pièces par les milieux réactionnaires autour des personnes trans, l’instrumentalisation de la laïcité pour alimenter des théories islamophobes et racistes qui impactent notamment les enfants issus de l’immigration et les femmes.
Il se passe également quelque chose de très important autour des droits des enfants, une prise de conscience des violences qu’ils subissent de la part des adultes. Il y a eu le rapport Ciivise qui a révélé l’ampleur des violences sexuelles commises à leur encontre. Il y a l’affaire Bétharram qui raconte l’institutionnalisation de ces violences utilisées comme méthode d’éducation. Il y a l’affaire Le Scouarnec, du nom du médecin qui a reconnu avoir violé ou agressé sexuellement près de 300 enfants sur une période de 30 ans. Plus personne ne peut ignorer le caractère systémique des violences faites aux enfants. Entre les groupes de victimes et les associations qui défendent leurs droits, il y a un énorme travail de documentation et de plaidoyer pour mettre en lumière ces violences. C’est ce que nous documentons aussi bien dans notre revue que dans notre newsletter et dans nos livres à venir.
- En regardant vers l’avenir, quelles sont vos ambitions pour La Déferlante et votre propre travail dans les prochaines années?
Avec notre revue, notre newsletter, notre maison d’édition et nos évènements, nous voulons devenir le média de référence sur les questions féministes et antiracistes. Nous voulons continuer à documenter la société telle qu’elle est, ainsi que les luttes sociales transformatrices. Nous voulons contribuer, à notre échelle, au renouvellement des récits.
- Travaillez-vous avec d’autres médias et mouvements féministes en Europe ? À une époque où le mouvement féministe est décrit comme très divisé selon les pays, comment pensez-vous que le féminisme transnational peut contribuer à le rapprocher ?
Avant de répondre à votre question, je voudrais revenir sur cette idée que le mouvement féministe est très divisé. Il ne l’est ni plus ni moins que la plupart des mouvements politiques : le Parti républicain aux États-Unis souffre d’une guerre interne intense, tout comme les Républicains en France, Renaissance, le Parti socialiste et les Écologistes. Souligner de manière aussi répétitive les divisions du camp féministe, c’est alimenter des stéréotypes anciens au sujet des femmes qui « se crêpent le chignon », alimentant aussi leurs divisions au profit des dynamiques patriarcales. Le mouvement féministe est traversé de désaccords et de débats mais c’est ce qui en fait un mouvement dynamique !
Nous n’avons pas de projets actifs avec des partenaires internationaux à proprement parler, mais nous sommes en contact avec de nombreuses autres publications ailleurs dans le monde. Je pense notamment à la revue Axelle qui a été une des revues féministes pionnières en Europe. Nous sommes également en contact permanent avec des associations féministes et antiracistes à échelle européenne (Campagne My Voice, My Choice en soutien à l’intiative européenne pour le droit à l’avortement https://www.myvoice-mychoice.org/fr) et française. - Le magazine organise également des soirées de lancement pour chaque numéro. Pourquoi avoir choisi, en tant que magazine, de privilégier les événements culturels et festifs ? Quel impact cela a-t-il sur votre travail ? Quel impact cela a-t-il sur le mouvement féministe qui se construit en France ?
Merci pour cette excellente question !
Je crois qu’au débat il s’agissait avant tout de communiquer autour des lancements de noq numéros, mais nous nous sommes assez rapidement rendues compte que notre communauté de lectrices et de lecteurs ou même juste les personnes qui nous suivaient sur les réseaux sociaux étaient très demandeuses de contacts IRL avec La Déferlante.
Chacun de nos évènements de lancement (nous organisons aussi des rencontres en librairie et intervenons dans le cadre de partenariats avec pas mal d’institutions culturelles) est l’occasion d’un grand nombre de discussions et de rencontres. Elles nous permettent de maintenir le contact avec celleux qui nous suivent déjà mais aussi de rencontrer de nouvelles·aux lecteur·ices potentiel·les. C’est donc essentiel à notre développement et, par extension, essentiel à notre indépendance car, encore une fois, nous avons besoin d’abonné.es pour continuer à exister sans publicité et sans grands actionnaires.
Ensuite, en ce qui concerne le caractère festif de ces évènements, nous avons rapidement constaté que les personnes qui militent ont aussi besoin de moments de cohésion. On parle beaucoup de « joie militante » dans les milieux féministes ces derniers temps et finalement, ces soirées sont des rendez vous pour se retrouver après avoir lutté ou débattu et c’est un carburant indispensable pour la lutte.
